Les pesticides dans la loi de 1916

Publié le par Amelie Meffre

Les pesticides dans la loi de 1916

© Henri Meffre

2019, la bataille autour du glyphosate se corse. Plaintes et arrêtés municipaux se multiplient. Après les débats engagés en 2017 au sein de l'UE, le bras de fer se poursuit devant les tribunaux français. Téléportation en 1916 quand la loi du 12 juillet encadrait l'usage de l'arsenic.

21 août 2019. A ce jour, plus de 1505 plaintes sont déposées pour «mise en danger de la vie d’autrui», «tromperie aggravée» et «atteinte à l’environnement», comme le révèle le parquet de Paris au Monde. Commandos de pisseurs ou maires, à Amiens comme à Dijon, ça s'énerve contre l'usage du glyphosate.
27 novembre 2017. L'Union européenne décide de renouveler pour cinq ans la licence d’exploitation du glyphosate. La France vote contre et demande à la Commission européenne de faire des propositions pour revoir les modes d’évaluation des substances chimiques. En attendant, après un gros cafouillage, l'herbicide peut continuer à s'épandre légalement chez nous. Et ça fâche.

 

Téléportation en 1916 quand la loi du 12 juillet allait encadrer entre autre l'usage de l'arsenic (1).
Elle concerne presque toutes les substances vénéneuses. Du coup, elle est particulièrement répressive pour contrer l'usage des stupéfiants mais elle s'attaque aussi (plus timidement) aux composés arsenicaux dont l'usage agricole s'intensifie pour combattre les parasites. Ces derniers pullulent à la fin du XIXe siècle quand les échanges commerciaux internationaux se développent. Le phylloxéra qui ravage le vignoble français en est un exemple criant. Face à ces «ennemis des cultures » comme on les nomme alors, la lutte chimique va peu à peu se généraliser avec l'emploi croissant de dérivés de l'arsenic, parfois encouragé par les autorités. Ceci va soulever une série de controverses vu que l'usage de ces substances dans l'agriculture est interdit depuis l'ordonnance du 29 octobre 1846. On assiste alors à un match entre partisans et adversaires des arsenicaux. Les uns prônent un assouplissement de la loi pour utiliser ces pesticides et faire prospérer l'agriculture française, les autres exigent des garanties contre leur toxicité. L’État, au milieu, va tenter de composer entre intérêts économiques et santé publique.

Des communications contradictoires se succèdent. Ainsi, en 1888, un rapport de Monsieur Grosjean, inspecteur de l’enseignement agricole, préconise d'utiliser des arsenicaux contre un coléoptère qui attaque les cultures de betteraves du Nord et du Pas-de-Calais. Il vante les mérites de ces pesticides qui ont fait leur preuves d'efficacité notamment en Amérique dans la lutte contre les doryphores. Son rapport est publié dans le « Bulletin du ministère de l’Agriculture », bien que cet usage soit interdit. La situation est pour le moins paradoxale alors que l'emploi des arsenicaux se déploie dans la viticulture en toute illégalité, il est en quelque sorte encouragé par les autorités.

Les pesticides dans la loi de 1916

Menaces tous azimuts
On s'inquiète tout de même des risques d'empoisonnements collectifs comme ce fut le cas à Hyères en 1887 où des vins contaminés intoxiquèrent plus de 400 personnes.
Redoutant des accidents face à la circulation sans aucun contrôle de ces toxiques, des préfets saisissent des Conseils d'hygiène et de salubrité publique en 1908 et 1911. Au même moment, des médecins tirent la sonnette d'alarme, soulignant la possibilité pour des résidus d’arsenic de passer dans les vins, les fruits et les légumes et d’empoisonner les consommateurs. C'est le cas du professeur Paul Cazeneuve, éminent membre de l’Académie de Médecine, qui fût député puis sénateur du Rhône qui mène campagne auprès des viticulteurs et des personnalités politiques sur les dangers de ces substances. S'il évoque les risques d'empoisonnement pour les consommateurs, il se soucie aussi des utilisateurs. Comme le rapporte Rémi Fourche dans sa thèse d'histoire sur la protection phytosanitaire dans l'agriculture, en 1913, il s’insurge que « l’on trouve tout simple qu’un brave vigneron manipule de l’arséniate de soude et des sels de plomb, se souille les mains, les vêtements, au milieu de ses enfants et du personnel de la maison, sans réglementer en quoi que ce soit cet usage ».

 

Légalisation en marche
L'Académie de Médecine débat et préconise une série de mesures qui seront en partie reprises dans le décret du 14 septembre 1916, deux mois donc après le vote de la loi sur les substances vénéneuses. En fait, le gouvernement attend des propositions pour lui permettre de légaliser l'utilisation des arsenicaux dans l'agriculture... En attendant, ce décret va classer les substances vénéneuses en trois catégories. Le tableau A regroupe le plus grand nombre dont celles destinées à l'agriculture ou à la médecine, le B, les stupéfiants et le C, les moins toxiques. Parmi la première liste, on retrouve donc les composés arsenicaux utilisés en agriculture pour combattre les nuisibles. Le texte innove en légalisant l'usage de certains, tout en encadrant leur utilisation. Une série de règles est édictée : interdiction des arsenicaux dans les cultures maraîchères et fourragères, des composés solubles considérés comme plus dangereux, réglementation des mélanges, des quantités comme des périodes d'emploi, obligation de stocker les produits dans des locaux fermés, de se protéger lors des manipulations. Bref, on légalise des produits que l'on sait toxiques mais on encadre strictement leur usage.
On retrouve la logique pour le moins ambiguë de cette politique dans le rapport adressé au président de la République Raymond Poincarré par les ministres de la Justice, de l’Agriculture, de l’Intérieur et des Finances. Ils justifient le décret du 14 septembre 1916 et l'autorisation des pesticides en ces termes : « (…) tant que l'on ne disposera pas de méthodes plus inoffensives de destruction des insectes parasites, il a paru d'un intérêt économique de premier ordre d'autoriser l'usage des arsenicaux en agriculture ». Ils précisent tout de même qu'il faut imposer toutes les garanties nécessaires à la sauvegarde de la santé publique.

Quoiqu'il en soit, les règles édictées en 1916 pour l'emploi de ces pesticides ont été peu respectées, les dérogations pleuvent pendant plusieurs années. Pour Nathalie Jas, historienne des sciences, ces textes de 1916 fondent la législation contemporaine sur les toxiques employés dans l'agriculture. Ils révèlent par là même la position douteuse de l’État qui cherche à protéger la santé publique tout en préservant les intérêts de l’agriculture, fermant les yeux sur les contournements de ladite législation, voire en favorisant ces contournements. Grave !
 

« Faites monter l'arsenic/
Faites monter le mercure/

Faites monter l'aventure/
Au-dessus de la ceinture/
Et les pépites/
Jetez-les aux ordures. »

Faite monter/Bashung

 

On peut retrouver la thèse d'histoire de Rémi Fourche sur la protection phytosanitaire dans l'agriculture française sur le site de l'université Lumière de Lyon 2 et consulter les articles de l'historienne et sociologue Nathalie Jas.

(1) Les pesticides et la loi de 1916, chronique diffusée dans « La Fabrique de l'histoire » sur France Culture en décembre 2017.

 

Publié dans Des lois et des droits

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