Le courage des gueux

Publié le par Amelie Meffre

By Benoît Fatou

By Benoît Fatou

Les ouvertures de chasse aux pauvres ponctuent l’histoire au point de nous pousser à regarder des époques passées sous le prisme de l’actualité. Si les faits d’hier peuvent éclairer ceux du présent, de tous temps, les indigents furent des résistants comme nous le rappelle Laurence Fontaine dans « Vivre pauvre. Quelques enseignements tirés de l’Europe des Lumières ».

Le 17 octobre, passait presqu’inaperçue la Journée mondiale du refus de la misère et son slogan « La dignité en action ! », noyée dans le « canardage » des infos internationales comme nationales. Et pourtant, elle était pleinement d’actualité alors que le gouvernement dévoilait son projet « France Travail » avec l’intention de faire marner les personnes 25 heures hebdomadaires pour toucher le Revenu de solidarité active (RSA). Toute honte bue au regard des chiffres de l'Insee : 14,6% de la population française vivait sous le seuil de pauvreté en 2019, soit plus de 9 millions de personnes. Ainsi, le système de solidarité national est une nouvelle fois remis en cause par des élus qui jugent les pauvres trop fainéants voire fraudeurs. Et c'est une grande constante dans l’histoire…
Rappelons qu’au XVIIe siècle, le « Roi-Soleil » ne brille pas d’altruisme. Le 27 avril 1656, Louis XIV décrète par lettres patentes la création de l'Hôpital Général qui a pour objectif de rassembler les pauvres qui errent dans les rues de la capitale et d’éradiquer la mendicité. On fait une distinction entre les « bons » et les « mauvais » pauvres et ça, depuis la fin du Moyen-Âge. Une police des pauvres se met progressivement en place avec cette vision qu'il y aurait des pauvres secourables et d'autres condamnables. Tous les pauvres mendiants valides et invalides, de tous les âges et des deux sexes, doivent se rendre dans la cour de l’hôpital de Notre-Dame de la Pitié pour être envoyés dans des maisons. Ils y seront logés, nourris, entretenus, instruits et - parce qu'il y a un et - employés à rendre différents services. En d'autres termes, on les enferme, on les assiste et ils servent de main-d’œuvre. Quant à ceux qui ne se seront pas rendus à la Pitié et bien, ils y seront amenés de force par les officiers de police. C'est ce qu'on a appelé la période du grand renfermement. En fait, sous Louis XIV, on assiste à un tournant sécuritaire, alors que la Fronde qui a tenté de remettre en cause le pouvoir royal n'est pas loin. Le roi va donc multiplier les textes de loi pour sécuriser son pouvoir et surveiller au plus près ses sujets.

L’Europe des Lumières
Des voix s'élèvent pour condamner la politique répressive orchestrée par l'Ancien Régime et ce, avant même la période révolutionnaire. Turgot, contrôleur général des finances de Louis XVI, recommande de ne pas confondre la pauvreté réelle et la mendicité volontaire occasionnée par le libertinage et l’amour de l’oisiveté. « La première doit être non seulement secourue, mais respectée, la seconde seule peut mériter d’être punie », écrit-il en 1770. Il explique l'indigence par des causes économiques, le chômage, et non par le seul comportement individuel et c'est assez nouveau. Il va donc tenter de fermer les dépôts de mendicité pour ouvrir des ateliers de charité où l'on confie des travaux d'intérêt général aux pauvres. Des établissements textiles sont organisés pour les femmes, les enfants et les vieillards, tandis que des chantiers routiers sont ouverts pour les hommes. Braquant les projecteurs sur cette période, l’historienne Laurence Fontaine s’appuie sur un concours de réflexions lancé en 1777 par l’Académie des sciences, arts et belles lettres de Châlons-sur-Marne. Et sur les 125 mémoires envoyés pour répondre à la question des « moyens de détruire la mendicité en rendant les mendiants utiles à l’État sans les rendre malheureux ». Outre le déroulement du concours comme la teneur des idées déployées dont les plus révolutionnaires sont envoyées aux oubliettes, la chercheuse revient sur les capacités des miséreux à résister pour ne pas sombrer et ce, à l’échelle européenne. Cultures des biens communaux (marécages, pâturages, forêts…), glanages, colportages de denrées alimentaires, locations de lits, vagabondage, mendicité, prostitution… La liste est longue. Et c’est la force de l’ouvrage « Vivre pauvre » que de nous livrer « quelques enseignements tirés de l’Europe des Lumières » : la perception des miséreux comme les réponses déployées par ces derniers pour survivre.
Dans sa conclusion qu’elle nomme à juste titre « envoi », l’historienne écrit : « A quoi bon avoir étudié les pauvres à l’âge des Lumières, sinon pour marquer des similitudes dans le contexte de notre lutte de la pauvreté. (…) Avons-nous remarqué l’inventivité des plus démunis pour parer au présent et tenter d’apprivoiser l’avenir ? » Quand on voit ces nuées de campeurs qui s’étalent aujourd’hui dans les rues les plus huppées des grandes villes à commencer par celles de Paris, ces jungles de réfugiés traumatisés et tabassés, comment ne pas se demander : comment font-ils ?

Le courage des gueux

 « Vivre pauvre. Quelques enseignements tirés de l’Europe des Lumières » de Laurence Fontaine, NRF Essais, 491 pages, 24 euros.

Publié dans Chronique de la dèche

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