Robespierre, cet illustre inconnu
Article paru dans la NVO en juin 2011
« Robespierre, cet illustre inconnu »
Le 18 mai dernier, une vente de manuscrits exceptionnels (brouillons d’articles et discours) de Robespierre avait lieu chez Sothebys. Elle a donné lieu à une polémique, mêlant historiens, hommes politiques et même simples citoyens. Est-ce à dire que le révolutionnaire dérange toujours notre panthéon national ?
Par Amélie Meffre
« Robespierre n’a pas une rue à Paris », rappelait l’historien Pierre Nora sur France Culture le 27 mai (1), en pleine discussion sur l’acquisition des manuscrits inédits du révolutionnaire, mis en vente le 18 mai chez Sothebys. Tout juste une station de métro à Montreuil (93), au fin fond de la ligne 9. Est-ce à dire que Maximilien a toujours dérangé notre panthéon national ? Aujourd’hui encore, si l’Etat a préempté pour l’achat des écrits, il n’a pas pour autant mis la main au Trésor public pour honorer entièrement un prix de vente, atteignant quelque 900 000 euros. Certes la somme est conséquente, eu égard à la spéculation (les enchères ont démarré à 100 000 euros…) mais les textes mis en vente ne sont-ils pas inestimables pour notre patrimoine national ? Certains heureusement sont venus à son secours (voir Encadré). Des articles, des discours et même des brouillons de Maximilien Robespierre regorgent peut-être de trésors… Jean-Clément Martin, éminent historien de la Révolution française, nous éclaire un brin sur le sujet : « une grande partie des documents mis en vente ont déjà été publiés. Reste ceux qui ne l’ont pas été et notamment les brouillons avec leurs ratures qui n’ont jamais été étudiés par les historiens ».
Que de rumeurs !
La réponse sur le fait que Maximilien a sans cesse été chassé de la mémoire nationale est peut-être à chercher du côté de l’inconnu Robespierre. Jean-Clément Martin a pris cette question à bras le corps dans la Fabrique de l’Histoire sur France Culture, le 13 mai, en déclinant un portrait en demie teinte dans la rubrique des Inconnus des archives (1). Livrons-en quelques extraits : «(…) Abandonnons ces trop connus, dont rien, même pas les détails les plus intimes sont ignorés, comme Louis XVI ou Bonaparte ; ne revenons pas sur ces méconnus, mal connus, que sont les Danton ou les Marat et ne nous attendrissons pas sur ces cohortes d’inconnus qui ne le sont que parce que personne n’a lu les fatras d’archives et de mémoires (…). Dans ce théâtre surpeuplé, un personnage se détache, inconnu parce qu’inconnaissable ». Et l’historien de nous décliner quelques pistes sur différentes approches historiques. Ainsi, Henri Guillemin, auteur en 1987 de « Robespierre, politique et mystique », mit en avant le côté obscur du personnage, comme sa chasteté manifeste. Des travers trop dérangeants pour porter aux nues le révolutionnaire au fil des siècles ? « Robespierre était fermé comme une huitre », aux dires de Jean-Clément Martin. Il poursuit ainsi sa chronique : « Des rumeurs affirmeront qu’il vécut au milieu de l’admiration des femmes, mais sans qu’aucune liaison même temporaire ne laisse de traces, incitant quelques-uns à le penser homosexuel ».
Un peu trop poudré ?
Et puis, sans doute faut-il chercher également du côté de ses origines. Reportons-nous au Robert des noms propres : Maximilien Marie Isidore de Robespierre, nait en 1758, fils aîné d’un avocat d’Arras (Nord) et orphelin de bonne heure, est devenu juge au tribunal épiscopal en 1782. Il mena à Arras la vie mondaine provinciale. En d’autres termes, ceux de Jean-Clément Martin : « Il afficha, sans donner jamais d’explication, un goût vestimentaire décalé. Gardant culottes et gilet, cheveux poudrés, il ne porta jamais la carmagnole et le pantalon rayé des sans-culottes, pas plus que l’uniforme à la mode chez les jeunes gens, redingote et bottes d’équitation, cheveux flottants. Vivant bourgeoisement chez un entrepreneur aisé, il préféra la compagnie de son chien, dont on ne connaît même pas la taille exacte, jusqu’aux derniers jours de sa vie, ne se confiant à personne ».
Trop moral pour être honnête ?
En 1835, Georg Büchner, via sa pièce de théâtre « La mort de Danton » (elle ne fût jouée qu’en 1902…), oppose les deux hommes ou plutôt les idéaux de chacun. Rappelons que le 5 avril 1794, Robespierre envoie Danton et ses partisans à la guillotine avant d’y être conduit lui-même quatre mois plus tard. « C’est une lecture romantique de l’histoire » pour Jean-Clément Martin. Il y aurait la morale : Robespierre et la liberté : Danton. Ernest Hamel, homme politique du XIXe siècle et grand biographe de Maximilien, mettait l’accent sur cet aspect. Et la plume du révolutionnaire, magistrale, nous le confirme. Ainsi, sa « Lettre sur le bonheur et la vertu », une missive inédite à un destinataire inconnu, comprise dans le lot d’archives vendus chez Sothebys. « Tu croyais cher ami, qu’il suffisait à l’homme, pour être heureux, de vivre solitaire, dans le sein de la nature (…) Tu te croyais heureux et tu ne goutais que l’ombre du bonheur. A côté de ta chaumière était un laboureur sous le poids des impôts ; ici c’était un homme vertueux, victime du despotisme et du crime. Tu osais te dire heureux lorsque tes semblables étaient abreuvés d’amertumes ; tu osais te dire heureux lorsque ta patrie gémissait sous la tyrannie d’un despote et de ses courtisans. Insensé tu te croyais donc seul sur la terre (…). No comment.
La mâchoire fracassée
Résumons : soupçonné des « pires » penchants sexuels, d’une discrétion suspecte, contradictoire dans certaines de ses positions, plutôt mystique (il voulait instaurer le culte de « l’être suprême »), très exigeant moralement et un brin coquet, ça ne pouvait que chauffer pour sa personne. Un bouc émissaire idéal en quelque sorte. Pour Jean-Clément Martin, « Il permet une lecture simple à un événement très compliqué », à savoir la Révolution française, du moins à ses tout débuts. N’oublions pas tout de même que l’affaire n’a pas été conclue en 1789 et qu’il a fallu plusieurs siècles avant que la République ne s’installe durablement. En attendant, le 9 thermidor (27 juillet 1794), Robespierre est désavoué par la Convention et se réfugie à l’Hôtel de Ville, rejoint par son frère Augustin, Joseph Le Bas (grâce à qui quelques-uns de ces écrits sont vendus aujourd’hui), Couthon et Saint-Just. Tous mourront. Maximilien gira dans son sang toute la nuit, la mâchoire fracassée par une balle, avant d’être traîné avec ses amis à la guillotine.
Ça vaut bien quelques deniers publics pour acquérir ses écrits et même pour dresser quelques monuments, non ?
(1)Voir le site de l’émission :
http://www.franceculture.com/emission-la-fabrique-de-l-histoire.html-0
En Savoir plus
Henri Guillemin, « Robespierre, politique et mystique », 422 p. Le Seuil, 1987. Voir article à ce propos sur : http://www.persee.fr
Ernest Hamel, « Histoire de Robespierre », 3 vol. (rééd. Paris, Ledrappier, 1987, 3 tomes en 2 vol.).
Jean-Clément Martin, « La Révolution française, 1789-1799 », Éditions Belin, 2003 ; « Violence et Révolution. Essai sur la naissance d'un mythe national », Éditions du Seuil, 2006 et « La Terreur. Part maudite de la Révolution », Gallimard, Découvertes, 2010.
Le site de l’Institut d’histoire de la Révolution française :
http://ihrf.univ-paris1.fr/
Encadré
Royale souscription
Tout semblait mal parti mais l’affaire a bien fini : les écrits de Robespierre comme ceux du Conventionnel Le Bas sont au Archives nationales grâce à la générosité de l’Etat, de la ville d'Arras, du département du Pas-de-Calais, de la région du Nord, de l'Assemblée Nationale, du Sénat, de la ville de Paris et de chers citoyens. Et ce, grâce à la ténacité de nombre d’historiens. La Société des études robespierristes et l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF) ont décidé de ne pas se lamenter sur l'indigence des pouvoirs publics mais d'agir avec les citoyens en lançant une souscription. Le 27 mai, Serge Aberdam, de l’IHRF, racontait l’aventure au micro de France Culture : « l’apparition des brouillons de Robespierre fut un tel choc (1) qu’une pétition n’était pas à la hauteur des circonstances ». Trésor des manuscrits et des ratures oblige, tout comme le renchérissement du prix (de 100 000 euros, il est monté à plus de 900 000 euros), les aides diverses pour tenir la préemption de l’Etat ne suffisaient pas. Les citoyens devaient être sollicités comme lors de l’acquisition d’un tableau de maître. Et ce fut un succès sans précédent : quelque 1000 chèques sont arrivés à l’Institut, totalisant environ 100 000 euros. Allant de 10 à 500 euros chacun, ils étaient accompagnés d’une missive. Toute une émotion citoyenne qui sera, elle-même, archivée. Et notre ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, de déclarer face à un tel élan de générosité : « Il faudra en rendre compte d’une manière officielle ».
C’est la moindre des choses.
(1) Deux jours avant la perquisition au domicile de Robespierre, le Conventionnel Le Bas, fidèle compagnon, passé lui aussi à l’échafaud, avait mis les écrits à l’abri. Sa famille les a conservés durant plus de deux siècles.
http://ahrf.revues.org/210, http://ihrf.univ-paris1.fr/
Dates :
1758 : naissance de Robespierre à Arras (Pas-de-Calais)
1781 : avocat au conseil d’Artois
1782 : devient juge au tribunal épiscopal.
1789 : élu député du Tiers
1793 : entre au Comité de salut public
Avril 1794 : participe à l’exécution de Danton et de Camille Desmoulins
Mai 1794 : institue le Culte de l’être suprême
Juillet 1794 : exécution de Robespierre et de ses partisans