Les ancêtres des SCOP

Publié le par amelie meffre

Allégorie de la justice de Claude Franchomme. Crédit : Mikaël Libert

Allégorie de la justice de Claude Franchomme. Crédit : Mikaël Libert

Loi du 24 juillet 1867 qui légalise les Associations ouvrières de production

 

 

 Chronique "Un saut dans la loi", diffusée le 13/01 sur France Culture

 

Loi du 24 juillet 1867 qui légalise les Associations ouvrières de production

 

Mardi, Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre des Transports, a rencontré les représentants des salariés de SeaFrance, entreprise mise en liquidation judiciaire la veille, laissant sur le carreau 880 salariés. Le lendemain, Louis Dreyfus Armateurs annonçait qu’il pourrait en reprendre une partie, tout comme la SNCF, alors que la CFDT discute avec Eurotunnel de la mise en place d’une Scop. C’est l’occasion de revenir sur la loi du 24 juillet 1867 qui légalise les Associations ouvrières de production.

Oui et pour être précise sur le titre III de cette loi, relatif aux sociétés à capital variable. Parce que cette loi n’est pas consacrée aux Associations ouvrières de production (les AOP), les futures Scop, mais au commerce en général. Comme le rappelle l’historienne Patricia Toucas-Truyen, cette loi, votée pour encourager le commerce, arrive à la fin du Second Empire, à un moment de libéralisation. On est trois ans après la loi Ollivier qui assouplit la loi Le Chapelier, en abolissant le délit de coalition. Mais ce n’est qu’une tendance car le gouvernement a une « peur bleue » des associations ouvrières : la révolte des Canuts de 1831 ou les journées de juin 1848 ne sont pas loin. Alors, si ce titre III de la loi de 1867 donne un cadre légal aux AOP, elle n’autorise pas pour autant les syndicats (il faudra attendre 1884). En fait, il est le premier texte légal sur les coopératives ouvrières qui se sont mises en place depuis une trentaine d’années. La première AOP à voir le jour est celle des menuisiers, en  1831, à l’initiative de Philippe Buchez. Ce dissident saint-simonien, à l’image de Fourier, de Proudhon ou de Godin, défend l’alternative de la coopérative ouvrière pour améliorer le sort des travailleurs. A propos de la misère sociale, il écrira, je cite : « Ce serait une ineptie de léguer ce terrible avenir à nos enfants : un crime ! Car la misère croissante dont il est le dernier terme, engendre et multiplie en route la mort, la prostitution, le vol, les immoralités de toute sorte ; une ineptie ! Car le mal sera pour tous, le profit pour personne, et la punition pour ceux qui auront voulu se tromper et ne pas voir ». Après les menuisiers, Buchez met en place en 1834, l’association ouvrière de production des bijoutiers en doré.

En 1867, alors que se mettent en place les associations ouvrières de consommation, on compte une centaine d’AOP. Comme me le disait Michel Dreyfus qui travaille actuellement sur l’histoire des banques coopératives, il n’y pas à l’époque de structure bancaires pour aider leur création. Et puis, si l’élite de la classe ouvrière, telle les typographes ou les ouvriers issus de l’artisanat qualifié voient dans les coopératives, un moyen d’échapper au salariat, la majorité des ouvriers sont plutôt méfiants face à une quelconque intervention de l’Etat. Quant aux hommes politiques, ils semblent encore indifférents ; il faudra attendre la 3e République pour que les radicaux s’emparent de la question. En d’autres termes, le vote de cette loi n’a pas passionné les foules, selon Michel Dreyfus.

Quoiqu’il en soit, le titre III de la loi de 1867 est voté et pose, comme le note François Espagne, ancien secrétaire général de la Confédération des Scop, qui s’est beaucoup penché sur leur naissance, cinq règles essentielles, notamment la variabilité du capital et la structure personnaliste qui réserve aux salariés la qualité d’associé. Bref, c’est le texte fondateur des Scop. D’autres textes en 1915 ou en 1949 l’affineront. Aujourd’hui, l’intérêt pour cette forme de société n’a pas disparu, comme le montre certains salariés de SeaFrance.

 

On peut lire de Patricia Toucas-Truyen, « Les Coopérateurs : deux siècles de pratiques coopératives » sous la direction de Michel Dreyfus, paru en 2005 aux Editions de l’Atelier. Et retrouver les articles de François Espagne sur le site www.les-scop.coop, à la rubrique histoire.

 

 

 

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