Résistances artistiques

Publié le par Amelie Meffre

« France Forever » d'Alexander Calder //

« France Forever » d'Alexander Calder //

A l’occasion des 8o ans de la Libération, le musée de l’Armée propose « Un exil combattant. Les artistes et la France, 1939-1945 ». L'expo se tient jusqu’au 22 juin alors que celle sur « l’Art dégénéré » se poursuit jusqu'au 25 mai au musée Picasso. Preuve que la création fut - et reste - un élément essentiel de résistance.  

« Nous sommes fin mai, en pleine retraite, en plein désastre. On sacrifie les équipages comme on jetterait des verres d’eau dans un incendie de forêt. (…) Nous sommes encore, pour toute la France, cinquante équipages de Grande Reconnaissance. » Quand en 1943, « Pilote de guerre » est interdit en France, Antoine de Saint-Exupéry est exilé aux Etats-Unis et publie « Le Petit Prince ». Comme lui, ils furent nombreux à prendre la tangente durant la Seconde Guerre mondiale pour résister et créer. Les peintres André Masson, Wifredo Lam, Fernand Léger, Jean Hélion, la chanteuse Germaine Sablon, les acteurs Jean Gabin et Pierre Dac… L’expo « Un exil combattant. Les artistes et la France, 1939-1945 » éclaire leurs combats comme leurs œuvres. Londres, New-York, Brazzaville, Buenos Aires, Cuba, Alger…, les points de chute ne manquent pas. On suit leurs itinéraires pour les atteindre. Pour l’Amérique, la filière dite martiniquaise au départ de Marseille et de Casablanca est la plus empruntée, apprend-on. On déambule dans les archives et on admire le mobile « France Forever » (1942) de l’Américain Alexander Calder en soutien à la France Libre comme l’atelier new-yorkais reconstitué du sculpteur d’origine biélorusse, Ossip Zadkine, exilé dès 1941. Sculptures, toiles, affiches, livres, lettres, uniformes, photographies, des centaines d’objets nous replongent avec minutie dans cet exil singulier.

Simone Simon et Jean Gabin dans "La Bête humaine" de Jean Renoir (1938)

Simone Simon et Jean Gabin dans "La Bête humaine" de Jean Renoir (1938)

Périples tous azimuts
On découvre ainsi le périple de la photographe d’origine allemande Germaine Krull qui connut la notoriété à Paris comme figure de la « Nouvelle Vision » photographique avant de partir pour le Brésil, le Cap ou Brazzaville. Là-bas, elle y dirige le service photographique de la France Libre avant de couvrir les débarquements et de s’envoler après-guerre pour l’Asie.
L’exposition nous offre un voyage riche et sacrément documenté. On le poursuit avec un catalogue des plus précieux, édité par les éditions Gallimard et le musée de l’Armée. Vingt-trois auteurs y retracent la production artistique, culturelle et scientifique en exil. De l’architecture à la joaillerie, de l’édition au cinéma, du surréalisme à l’atome, les sujets sont illustrés par les photographies des 300 objets, documents et œuvres d’art présentés dans l’expo. On y trouve aussi une quarantaine de portraits de ces exilés, connus ou oubliés.

Pendant que les artistes traversent les frontières et s’organisent pour défendre les valeurs de la liberté, leurs œuvres sont conspuées en France comme en Allemagne par le régime de Vichy et les nazis. Les musées comme les collections personnelles sont pillés au nom de théories abjectes.

"Metropolis" de Georges Grosz (1916-1917)

"Metropolis" de Georges Grosz (1916-1917)

Spoliations et destructions
On se presse au musée Picasso pour découvrir « L’art « dégénéré » : le procès de l’art moderne sous le nazisme ». Elle se centre sur l’exposition de propagande « Entartete Kunst » (« Art dégénéré »), organisée en 1937 à Munich, montrant du doigt plus de 600 œuvres d’une centaine d’artistes, représentants des différents courants de l’art moderne (*).
On admire quelques chefs-d’œuvre d’artistes fustigés par les nazis pour mieux les marchander comme l’époustouflant « Metropolis » de George Grosz nous montrant un Berlin flamboyant durant la Première Guerre mondiale. Marc Chagall, Paul Klee, Otto Dix, Hanns Ludwig Katz, Ludwig Meidner, Oscar Kokoschka… La beauté des œuvres happe nos regards en même temps que la laideur de leurs détracteurs nous enrage. Du film nous montrant Hitler et ses parades à la gloire de l’art aryen aux documents étalant des articles et des ouvrages répugnants comme celui signé par le critique d’art vichyste Camille Mauclair : « Les Métèques contre l’art français ». Au total, plus de 20 000 œuvres d’artistes tels Vincent Van Gogh ou Pablo Picasso, désignés comme « dégénérés » dès les années 1920 aussi bien en France qu’en Allemagne, seront retirées, vendues ou détruites.
On reste en arrêt devant la « Rue de Berlin » d’Ernst Ludwig Kirchner, un des fondateurs de « Die Brücke », groupe d’artistes allemands expressionnistes. Considérée comme « dégénérée », une grande partie de son œuvre fut détruite. En 1938, il se suicida.
Une exposition magnifique autant qu’effrayante.

(*) On peut réécouter à ce propos la très bonne série de Christine Lecerf, réalisée par Franck Lilin, diffusée en 2017 sur France Culture.

 "Rue de Berlin" d’Ernst Ludwig Kirchner (1913)

"Rue de Berlin" d’Ernst Ludwig Kirchner (1913)

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