Santé : patients et soignants en danger
L’année commence aussi mal qu’elle a fini pour les personnels des hôpitaux et des Ehpad qui se mobilisent contre les manques de moyens et les prises en charge dégradées des patients et des résidents. De la grève aux urgences de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) à la mise en place d’un « mur de la honte » des Ehpad dans le Finistère, ils alertent sans relâche.
Aux urgences, l’année 2025 démarre sur les chapeaux de roues. Le 10 janvier, pour faire face à l’afflux de patients dû à l’épidémie de grippe, 87 hôpitaux déclenchaient un « plan blanc ». Une mesure qui permet de déprogrammer des opérations, d’ouvrir des lits supplémentaires et de réquisitionner des personnels en congés. Des plans exceptionnels pour une épidémie somme toute assez banale en cette période de l’année. Même si on nous la dit plus précoce et plus virulente, nécessitant plus de vaccinations, force est de constater qu’elle débarque dans un climat plus que tendu. Même Yannick Neuder, le nouveau ministre de la Santé – le septième en quelque deux ans –, reconnait que cette situation « traduit bien l'état de tension dans lequel se retrouve notre système de santé ». A qui la faute quand des dizaines de milliers de lits ont été fermés depuis 2017 ?
Les personnels se mobilisent partout en France et depuis des années pour alerter les pouvoirs publics. Auch (Gers), Grenoble (Isère), Carhaix (Finistère)…, rien qu’en décembre dernier, ils étaient nombreux à débrayer pour obtenir davantage de moyens. « Urgences saturées, patients en danger » placardait début janvier l’ensemble du personnel en grève des urgences du centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). Ils avaient déjà lancer un droit d’alerte fin juillet pour dénoncer le manque de moyens humains pour exercer leur métier correctement. « Cette nuit, nous avions 28 patients sur des lits-brancards alors qu'ils devraient être hospitalisés. La situation ne fait que s’aggraver au fil de la journée », témoignait le 2 janvier Véronique Fantini, secrétaire adjointe CGT de l’établissement, auprès de France Info.
Grève victorieuse
Le 7 janvier au matin, un protocole d’accord de sortie de grève était signé entre la direction et le syndicat CGT. Il actait la création de 14 postes supplémentaires d’infirmier, d’aide-soignant, d’agent d’accueil et de brancardier. Autre mesure prévue : à compter du 13 janvier, des « états généraux sur la régulation des flux » devaient être mis en place avec des groupes de travail constitués de toutes les catégories professionnelles des urgences ainsi que le recrutement d’un infirmier coordinateur. Alors que « le gouvernement doit bientôt élaborer son Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS), cette victoire encourage tous les professionnels de la santé et du médico-social à se mobiliser pour obtenir des moyens humains et financiers supplémentaires », soulignait le communiqué des instances de la CGT (syndicat de l’hôpital, USD 94, UD 94, fédération de la Santé et de l’Action sociale). En d’autres termes, la santé est une priorité même si son ministère souffre d’un sévère turn-over.
Murs de la honte
« Madame K, 91 ans, a passé 29 heures sur un brancard. » « Monsieur S, 89 ans, a passé 30 heures sur un brancard. » « Madame G, 93 ans, a passé 23 heures sur un brancard.»… La triste réalité des urgences en crise pouvait se lire sur la centaine de feuilles A4, affichée cet été par les personnels en grève devant les urgences au CHU de Brest (Finistère). Ce « mur de la honte » érigé par la CGT, a ainsi recensé 130 patients de plus de 75 ans à avoir subi un tel traitement, du fait d’un manque de moyens humains et financiers.
« Nous avons décidé de transposer l’idée du « mur de la honte » des urgences au secteur des Ehpad, explique Thomas Bourhis, secrétaire général CGT du CHRU Brest-Carhaix. Nous avons donc recensé de nombreuses situations de résidents dont la prise en charge a été fortement dégradée du fait d’un manque de personnel ». Pour ce faire, l’union des syndicats CGT de la santé et de l’action sociale du Finistère a fait circuler un questionnaire anonyme auprès des personnels des Ehpad du département. Quelque 240 agents et salariés des secteurs public, privé, associatif ou lucratif ont répondu au questionnaire, dont 90,8 % de femmes. Il ressort notamment de cette enquête départementale que 58,4 % des répondants jugent leurs conditions de travail mauvaises ou très mauvaises. La lecture du « mur de la honte » érigé pour alerter sur l’état critique du fonctionnement des Ehpad nous en donne des exemples plus que choquants.
Atteintes à la dignité
« Madame A, 92 ans, a chuté après le premier passage de l’équipe de nuit à 22 heures ; elle restera au sol pendant cinq heures. » Pour « Monsieur R, 85 ans, une aide au repas complet (traitement et repas) en moins de cinq minutes ». « Madame J, 103 ans, porte des couches toute la journée, faute de temps d’accompagnement. » Ce « mur de la honte » recense ainsi les situations constatées par les personnels et leurs revendications : « Soignants débordés, autonomie sacrifiée ! », « 2 soignants pour 90 résidents = DANGER ! »… Appelé malheureusement à s’agrandir et à tourner dans les établissements, il a été présenté à la presse le 20 décembre à Quimper. En janvier, un courrier rassemblant les données récoltées interpelle les huit députés du Finistère afin de faire adopter un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2025 qui donne les moyens aux soignants de faire correctement leur travail et éviter la reproduction des situations recensées et dénoncées. Il doit être examiné à compter du 3 février à l’Assemblée nationale. Si la nouvelle mouture n’évoque plus 5 milliards d’euros d’économies pour le secteur de la santé, en 2025 comme osait le prévoir l’ancienne, quelques centaines de millions le sont toujours.
En d’autres termes, la casse continue malgré la crise. Inacceptable !