Les 80 ans du massacre de Thiaroye

Publié le par Amelie Meffre

Les 80 ans du massacre de Thiaroye

Le 1er décembre 1944, des centaines de tirailleurs africains, ex-prisonniers de guerre, furent mitraillés par l’armée française au camp de Thiaroye (Sénégal). Dimanche 1er décembre 2024, les autorités sénégalaises leur ont rendu hommage. Quelques jours auparavant, Emmanuel Macron a reconnu qu’il s’était agi d’un « massacre ». Reste à en retrouver les traces.

Mieux vaut tard que jamais, il aura fallu près d’un siècle pour que la France reconnaisse le carnage, perpétré en 1944 par l’armée française dans le camp militaire de Thiaroye, dans la banlieue de Dakar (Sénégal). Sur place, le 1er décembre 2024, le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, leur rendait hommage pour mettre fin « à l’omerta sur cet épisode tragique voulu et entretenu par l’autorité coloniale », tout en saluant le « courage moral » de son homologue français qui venait de reconnaître le « massacre ».
Un pas supplémentaire quand cinq mois plus tôt, seules six des victimes obtenaient, à titre forcément posthume, la mention « morts pour la France », dans le cadre des commémorations de la Libération. A l’époque, le Premier ministre sénégalais et président du parti le Pastef-Les Patriotes, Ousmane Sonko, réagissait : « Je tiens à rappeler à la France qu’elle ne pourra plus ni faire ni conter seule ce bout d’histoire tragique. Ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d'Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver (…) ». Il faut dire que durant près d’un siècle, la France a falsifié l’histoire, s’en tenant à une version officielle. Selon celle-ci, quelques milliers de tirailleurs africains, rapatriés au Sénégal en novembre 1944, après quatre ans de captivité, s’étaient rebellés pour réclamer leurs soldes contraignant l’armée à tuer trente-cinq hommes. Quarante-huit « meneurs » sont alors arrêtés et trente-quatre, jugés et condamnés. Ils seront amnistiés en 1946 et 1947, sauf trois, décédés durant leur détention.

En quête de vérité
Au vu des contradictions des rapports militaires, il y aurait eu entre 300 et 400 tirailleurs tués ce 1er décembre 1944, enterrés dans des fosses communes. Les victimes, ex-prisonniers de guerre, détenus en France dans des Frontstalags, qui demandaient le paiement de leurs soldes non versées, auraient été rassemblés sur ordre devant les automitrailleuses pour être exécutés. Comme à Sétif en 1945 ou à Madagascar en 1947, la France coloniale entendait tuer dans l’œuf l’esprit de résistance.
Pour faire la lumière sur ce massacre, il faut compter sur la ténacité des descendants de victimes et d’historiens tels Martin Mourre et Armelle Mabon. Cette dernière qui se bat depuis des décennies pour rétablir la vérité, vient de publier « Le massacre de Thiaroye. Histoire d’un mensonge d’État » aux éditions du Passager clandestin. Elle y relate par le menu son combat pour démonter la version officielle et les obstacles pour accéder à des archives, prétendument inexistantes ou détruites. Une démarche exemplaire que saluait en 2018, la bande dessinée « Morts par la France. Thiaroye 44 » de Pat Perna et Nicolas Otero (Ed. Les Arènes).

Les 80 ans du massacre de Thiaroye

Des preuves à retrouver
Pas facile de s’attaquer à ce qui s’apparente à un mensonge d’État quand durant des décennies le silence a prévalu. Ainsi, le film de Sembène Ousmane « Camp de Thiaroye », prix spécial du jury à la Mostra de Venise en 1988, n’est sorti en France que dix ans plus tard et n’a été projeté qu’en 2024 au festival de Cannes… Ce n’est qu'à l'automne 2014, qu’un premier pas est franchi. François Hollande, en visite au Sénégal, prononce des discours, dans lesquels il déclare : « Je voulais réparer une injustice parce que les évènements qui ont eu lieu ici sont tout simplement épouvantables, insupportables ». Il annonce la restitution d’archives numérisées à l’État sénégalais. Pourtant, il évoque encore une « répression sanglante » quand il s’agit d’un « crime de masse ou d’un crime de guerre », comme le souligne l’historien Martin Mourre dans le très bon documentaire « Thiaroye 44 : enquête sur un massacre de tirailleurs au Sénégal » de Marie Thomas-Penette et François-Xavier Destors, diffusé en 2022 sur France 24. Évoquant les archives, il souligne : « les sources qu’on a sont celles de ceux qui les ont tués ». Celles versées au Sénégal sont, pour Armelle Mabon, « déjà connues et mensongères », maintenant la version officielle.

En quête de corps
Emmanuel Macron vient de reconnaître le massacre. Déjà, la décision en juin 2024 d’attribuer la mention « Mort pour la France » à six tirailleurs tués à Thiaroye, même si elle pouvait paraître scandaleuse alors que c’était l’armée française qui les avait fusillés, ouvre des perspectives de reconnaissance et de réparation. Pour Armelle Mabon, cette mention « Mort pour la France » « n’a pu se faire qu’avec des documents qui prouvent qu’ils ne sont pas des mutins alors que les archives consultables montrent la rébellion armée, la mutinerie, les revendications illégitimes. Le ministère ne peut plus prétendre que ces archives n’existent pas ou plus ou ont été perdues ou détruites ». Elle ajoute : « à défaut de pouvoir consulter les archives interdites d’accès ou détruites, seules des fouilles aboutissant à l’exhumation des corps permettraient de lever définitivement tout doute quant à l’ampleur du massacre ». Il est plus que temps que toute la lumière soit faite sur ce carnage. Pour les victimes et leurs descendants, pour les Africains et les Français.

A lire : « Le massacre de Thiaroye. Histoire d’un mensonge d’État » d’Armelle Mabon, aux éditions du Passager clandestin et « Thiaroye 1944. Histoire et mémoire d’un massacre colonial » de Martin Mourre aux Presses universitaires de Rennes (2017).

Publié dans Articles

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article