Faits divers : des œuvres à foison
De sang-froid de Truman Capote, L’Adversaire d’Emmanuel Carrère, Underground d’Haruki Murakami, Le Dalhia noir de James Ellroy… Faits divers, la nouvelle série d’Arte nous gâte en tirant le portrait d’écrivains qui se sont emparés de faits sanglants pour les interroger.
A s’y brûler les ailes parfois.
« Il n’y a pas d’actualité du fait divers, parce que le fait divers est toujours d’actualité. » Laetitia Gonon, maîtresse de conférences en langue et stylistique françaises, introduit en ces termes un dossier passionnant paru en 2018 dans « Recherches & travaux ». Elle décline l’influence des faits divers sur la fiction depuis le XIXe siècle : l’affaire Berthet qui inspire « Le Rouge et le Noir » à Stendhal, paru en 1830 (à écouter en feuilleton sur France Culture), l’affaire Delamarre qui sert de point de départ à « Madame Bovary » (Flaubert,1857), les sœurs Papin qu’on retrouve dans « Les Bonnes » de Genet (1947)… Le fait divers est partout. Dans les romans, les pièces de théâtre ou radiophoniques. Ainsi, dans les années 1950, la Chaîne Parisienne de la RTF diffusait « Faits divers ». Les auteurs de roman policier Louis Boileau et Thomas Narcejac s’inspiraient d’un fait divers réel envoyé par un auditeur ou une auditrice pour écrire une nouvelle que réalisait Pierre Billard. « Une vocation », « Crime hors concours », « Monsieur bien sous tous rapports »… L’Institut national de l’audiovisuel (INA) nous en offre quelques-unes.
Six morts dans la nuit
Plus tard, les écrivains remontent « aux causes, psychologiques et sociales, mystérieuses et complexes » et l’explorent « depuis le début, de l’intérieur », explique encore Laetitia Gonon. On ne traite plus le fait divers de la même façon depuis « De sang-froid » de Truman Capote (1966). Du dandy américain et de son chef-d’œuvre, il en est amplement question dans la série documentaire « Faits divers » que lance Arte.
« Si j'avais su ce qui m’attendait au Kansas, je ne me serais jamais arrêté. J’aurais continué ma route tout droit. Ce roman m’a tué. » A l’automne 1959, dans un village du Kansas, Herbert, Bonnie, Nancy et Kenyon Clutter, quatre des six membres d’une famille de fermiers respectée, sont sauvagement assassinés. Truman Capote se rend rapidement sur les lieux avec son amie la romancière Harper Lee. Il y restera cinq ans avant de publier en 1966, « De sang-froid » (Folio). Dans « 6 morts dans la nuit », le documentaire de Julien Gaurichon et Frédéric Bas, on est au cœur de cette incroyable histoire qui finira mal. Et pour les tueurs et pour l’auteur.
Au cœur du chaos
« Quiconque écrit quelque chose à partir d’un fait divers le fait dans l’ombre de « De sang-froid » », reconnait l’écrivain Emmanuel Carrère. Dans l’épisode d’Arte qui lui est consacré, il est cette fois question de l’affaire Jean-Claude Romand et de « L’Adversaire » (Folio). Carrère va passer sept ans à se demander ce que peut bien faire de ses journées ce faux médecin de l’OMS qui ment près de vingt ans avant de trucider ses parents, sa femme et ses deux enfants. La documentariste Camille Juza interroge l’auteur, ses confrères, l’avocat général du procès, un expert psychiatre pour mieux cerner le rapport entre l’écrivain et l’assassin. Encore une fois, l’épisode est passionnant. Même chose pour le volet consacré par Claire Laborey à l’auteur japonais Haruki Murakami face à un drame national. Le 20 mars 1995, dans le métro de Tokyo, un attentat au gaz sarin tue 13 personnes et en intoxique plus de 6000. A l’origine de l’attentat, la secte millénariste Aum Shinrikyô. L’intrigue est de taille : Murakami qui s’est éloigné du Japon depuis des lustres, interroge victimes et bourreaux et questionne l’évolution de la société japonaise dans « Underground » et « 1Q84 » (10/18). Que dire enfin de James Ellroy et des meurtres de Betty Short en 1947 et de Jean Ellroy en 1958, sa propre mère ? Là encore, c’est corsé comme ses romans « Le Dahlia noir » et « L.A. Confidential » (Rivages).
Après les fêtes, c’est encore la fête. Avec la saison 1 de la série d’Arte. Sitôt visionnée, on court s’acheter les bouquins qui nous ont échappé. Et avec sans doute aussi l’exposition qu’organise le Musée d’art contemporain du Val-de-Marne (Mac Val) pour fêter ses vingt ans. « Heureux qui comme Ulysse » d’Eduardo Arroyo, « L’accident » d’Éric Dubuc, « Diana’s Funeral » de Carole Benzaken… L’expo « Faits divers. Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse » rassemble une centaine d’œuvres (peintures, vidéos, installations…) à découvrir jusqu’au 13 avril.
Décidément, le fait divers est toujours bel et bien d’actualité.