A la découverte de Pierre Merlier
A une quinzaine de kilomètres d’Auxerre (89) se niche le musée Pierre Merlier où des centaines de sculptures en bois de l’artiste sont exposées. L’occasion de découvrir l’incroyable univers d’un créateur quelque peu oublié.
On ne se doutait pas en empruntant le chemin menant au Moulin du Saulce près du village d’Escovilles-Sainte-Camille (Yonne) qu’on allait découvrir les œuvres d’un sculpteur majeur. On y apprend que Pierre Merlier (1931-2017) fut un artiste reconnu qui obtint plusieurs prix dont en 1956, celui de la Jeune Sculpture et exposa à Paris, Lausanne, Londres, Québec ou Los Angeles. Grâce au 1% artistique, un dispositif né en 1951 qui prévoit des commandes d’œuvres à des artistes lors de la construction ou l’extension de bâtiments publics, ses sculptures monumentales créées de 1974 à 1980 trônent dans les villes de la région mais aussi à Die, Dijon, Beaune, Le Creusot, Chambery, Montélimar ou Paris. Si son nom résonne moins aujourd’hui, son œuvre magistrale perdure grâce à l’ouverture d’un musée en 2019 dans un ancien moulin devenu une usine hydroélectrique que le couple Merlier rachète en 1976. L’artiste va y créer durant plus de trente ans une grande partie de son œuvre foisonnante. A la veille de sa mort, alors que quelque 600 pièces sont entreposées dans le domaine, Pierre Mercier demande à sa femme Michèle : « Qu’est-ce que tu vas faire de tout ça ?... Tu n’as qu’à tout brûler ! ». Elle lui répond : « J’ai une meilleure idée, je vais te faire un musée ! ». Avec Sylvie Ottin, elle répertorie, trie et dépoussière les pièces en vue de les exposer. Elles déposent en 2018 les statuts de l’association de la Maison Pierre Merlier et ouvrent le Musée en juin 2019.
Forêts à foison
Dès l’entrée de la première salle, on est frappé par la diversité des œuvres : des forêts de femmes nues hautes de deux mètres, portant de longs manteaux ou des chapkas pour la série « La Perestroïka » mais aussi de personnages plus petits en costumes ou chapeautés surnommés « Les banquiers », taillés dans de l’orme et du tilleul à la tronçonneuse puis poncés et peints. Dans son étrange « Forêt humaine », les silhouettes nues ont plusieurs têtes aux chevelures hirsutes, ciselées dans le tilleul ou des souches de cerisiers inversées. « La racine devient la tête, les branches sont les bras et les jambes. À l’envers, comme le monde », expliquait l’artiste. Au gré des formes des morceaux de bois récoltés, les postures se diversifient telles celle d’un magnifique arlequin penché, jambes écartées. On se perd dans cette fantasmagorie où des regards, souvent tristes, semblent nous interroger.
L’art de la caricature
« J’ai laissé jaillir mon émotion de mes tripes et par la diversité de mes personnages, mis en scène la société et ses côtés dramatiques, caustiques, humoristiques, fantastiques, sans oublier l’érotisme et la laideur », déclarait Pierre Merlier. Dans ces bas-reliefs en terre cuite ou en polyuréthane, il ironise sur le Bicentenaire de la Révolution ou sur les élections quand une foule s’amasse autour d’une urne, parfois aux cotés d’une tête d’animal. « De Gaulle avait déclaré que les Français étaient des veaux », sourit Michèle Mercier qui assure la visite. Dans une autre salle, on retrouvera une statue du Général nu, bras ouverts, dans la posture de « Je vous ai compris ». Pas loin, ce sera un petit Hitler, tout aussi nu, les mains dans le dos, qui semble puni.
Parce qu’il fait œuvre de tout bois, quand il récupère des chutes de poutres d’une scierie, l’artiste en fait des totems bigarrés où des humains filiformes sont coiffés de têtes d’oiseaux. On croise encore une armée de monstres bedonnants mi-tristes, mi-suppliants ou des couples entrelacés qui nous interpellent.
Précieux musée
Lors de son service militaire, l’artiste découvre l’expressionnisme à Berlin et des artistes qui influenceront son œuvre. Il rend ainsi hommage avec Otto Dix avec des statues de soldats ou à Gustave Klimt en faisant une sculpture de son fameux « Baiser » et de personnages affichant les couleurs du maître. Il déclarait : « Je fais une sculpture figurative, ironique, satirique, mais jamais anodine ». Pour sûr, on ressort de ce voyage en terre singulière enchanté par tant de créativité. Au total, trois salles d’exposition ont été créées – Michèle Mercier n’a pas ménagé sa peine même en pleine canicule pour retaper les lieux, sans toucher vraiment de subventions - pour nous faire admirer près de 400 œuvres. Grâce à ce musée, implanté au bord du canal du Nivernais, le créateur génial que fut Pierre Merlier sort ainsi de l’oubli. On ne peut que vivement conseiller une visite de cet endroit magique.
Musée Pierre Merlier, Moulin du Saulce, 89290 Escolives-Sainte-Camille. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11 à 18h30, de Pâques à la Toussaint et sur rendez-vous : 06 74 86 17 05.