Descentes en masculinisme

Publié le par Amelie Meffre

"Backlash" By Caroline Ablain //

"Backlash" By Caroline Ablain //

Dans « Backlash », la dramaturge Penelope Skinner met en scène Danny, un Américain divorcé et déclassé qui se fait happer par la sphère masculinisme. Un écho au développement du courant antiféministe qui se déploie aux Etats-Unis comme en France.

Le titre de la pièce de théâtre Backlash, qu’on pourrait traduire par « retour de bâton », désigne cette contre-attaque d’une partie de la société face aux avancées du féminisme. Ce phénomène, la journaliste américaine Susan Faludi l’a décrit et nommé dans son ouvrage Backlash. La guerre froide contre les femmes (Éditions des femmes, 1993). Penelope Skinner, une des nouvelles voix féministes du théâtre anglais, s’empare du sujet dans cette pièce écrite en 2018 sous le titre original Angry Alan. Adaptée par Guillaume Doucet et Bérangère Notta, de la compagnie Le Groupe Vertigo, elle questionne le développement du masculinisme via Internet.
Seul sur scène, Danny, la quarantaine, un brin timide, commence à nous raconter. Son job qui consiste à se faire engueuler toute la journée par des clients mécontents, il est bien obligé de le subir pour assurer le quotidien, plus la pension de son fils. Avant, il était bien mieux loti mais il a été brutalement licencié. Il vit dans le Kentucky aux Etats-Unis. Son ado ? Il habite loin et il ne le voit quasiment jamais ; c’est à peine s’il veut lui parler au téléphone. Quant à sa nouvelle copine, elle suit des cours sur l’histoire des femmes et le charrie à l’envi. « Elle n’arrête pas de faire des petits commentaires du genre : « Tu peux me passer le sel Danny, si ça ne porte pas atteinte à tes droits fondamentaux ? » ou bien : « Oh hey Danny, ici dans la matrice, il faudrait sortir les poubelles ». Pour que vous sachiez. »

"Backlash" By Caroline Ablain //

"Backlash" By Caroline Ablain //

Gourou virtuel
Danny, génialement interprété par Philippe Bodet, tour à tour hésitant, revendicatif, surexcité, va se faire endoctriner par Angry Alan, sorte de gourou qui défend les Droits Masculins. A mesure qu’il visionne les vidéos d’Alan prônant la virilité, projetées sur grand écran au fond de la scène, il prend peu à peu de l’assurance. Dans un élan d’audace, il va même jusqu’à s’inscrire au séminaire d’Alan qui coûte pourtant une blinde. Il pourra faire une pierre deux coups : emmener son fiston en vacances et assister au meeting. Tout ça finira mal. En attendant, Danny est regonflé. La force de la pièce est de nous montrer la descente d’un personnage plutôt touchant pris dans l’engrenage des réseaux masculinistes. Comme une réponse à toutes ses frustrations. Pour Guillaume Doucet et Bérangère Notta, le propos est « tout à fait pertinent en France aujourd’hui ! Pour lutter contre la violence sourde de ces mouvements, nous devons ouvrir les yeux sur la menace qu’ils représentent ». La pièce « Backlash » y contribue.

Menaces réelles
Si le discours antiféministe existe depuis des lustres (*), la croisade actuelle contre l’égalité des sexes se déploie parfois tragiquement. Le 6 décembre 1989, un homme de 25 ans fait un massacre à L’École polytechnique de Montréal et se suicide. Dans une lettre d’adieu, il dit sa haine des féministes, « responsables d’avoir ruiner sa vie ». Avec l’explosion d’Internet, les propagandistes s’activent furieusement. En 2022, lors du procès opposant Johnny Depp à Amber Heard, ils s’en donnent à cœur joie pour discréditer le témoignage de l’ex-épouse, comme l’a bien montré le documentaire « La justice à l’épreuve des réseaux sociaux », diffusé sur France 5 en 2023. La fachosphère française n’est pas en reste pour promouvoir le masculisnime qui s’avère être un bon hameçon pour enrôler à l’envi comme le dénoncent ardemment le site Street Press ou celui de Causette.
Et les rabatteurs ne sont pas forcément des hommes tapis dans l’ombre. Ainsi l’influenceuse Thaïs d'Escufon, de son vrai nom Anne-Thaïs du Tertre d’Escœuffant, s’affaire à dégommer les avancées des femmes via sa chaine You Tube pour mieux « faire le lien entre la question de l’identité et celle de la virilité ». Les discours de l’ancienne porte-parole de Génération Identitaire - condamnée en 2021 à deux mois de prison avec sursis pour « injures publiques », après la publication d’une vidéo anti-migrants - valent leur pesant de connerie : « La situation actuelle est mortifère. Il nous faut passer de la simple critique du féminisme à une conception enracinée de la virilité dans notre civilisation »… Du même acabit que les salves d’Éric Zemmour, son chouchou aux présidentielles de 2022, qui dénonçait en 2006 des « décennies de féminisme forcené » et pleurait sur la disparition du « Premier Sexe ». Consternant !

(*) « Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui » sous la direction de Christine Bard, Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri (Puf, 2019).

« Backlash », de Penelope Skinner, mis en scène par Guillaume Doucet et Bérangère Notta. Jusqu’au 31 mars au Théâtre de Belleville à Paris, le 9 avril, à l’Université de Rennes 2, le 12 avril, au festival Mythos à Chartres-de-Bretagne et le 15 mai, à la scène universitaire Eve du Mans.

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