Alice Mendelson s'en est allée
Née en 1925, professeure de lettres, poétesse, conteuse, Alice Mendelson s'est éteinte dans son sommeil le 4 janvier. Ses vers, publiés pour la première fois en décembre 2021, donnent lieu au spectacle « L’érotisme de vivre » avec Catherine Ringer. Depuis, ils voyagent comme de puissants antidotes contre le blues.
Tant d’hommes m’ont plu/Même ceux qui ne me plaisaient pas/Sauf ceux qui étaient beaux, trop beaux, juste à regarder/Excepté toi… et toi…/Même toi, et toi/Surtout toi. Ce soir de février 2022 au Théâtre d’Auxerre (89), la chanteuse Catherine Ringer, longue tresse sur le côté, déclame des poèmes d’Alice Mendelson avec la poétesse Violaine Boneu en robe somptueuse, accompagnées au piano par Grégoire Hetzel. Au milieu du public, venu en nombre, l’autrice, 96 ans, assiste à la création de L’érotisme de vivre, une performance tirée du premier recueil de ses poésies au titre éponyme publié aux éditions Rhubarbe. La découverte est jouissive tant l’écriture d’Alice Mendelson est une ode aux plaisirs de la vie. Dès lors, un spectacle du duo Ringer-Hetzel, mis en scène par Mauro Gioia, peut tourner. Montréal, Genève, Sète, Mulhouse, Paris...
Tes mots, tes bras, loin de moi, bien en cercle./Debout, je m’y glisse./Le monde y est bien rond. Alice Mendelson écrit des poèmes depuis sa jeunesse et voilà qu’à plus de 90 ans, certains sont édités, joués et chantés. Il faut dire qu’elle avait le talent d’aller de l’avant. Une fois à la retraite, la professeure de français qui a écumé bien des lycées se forme à l’art du conte auprès de Pascal Quéré. Le jeune conteur devient son confident d’un passé pas toujours joyeux. Il exhume avec elle documents et photos pour élaborer un album en 2017 : La petite qui n'est pas loin, découvre ses poèmes et les fait connaître. Des amitiés croisées relaieront la découverte telle celle de la comédienne et chanteuse Catherine Ringer, dont le père Sam Ringer, ancien déporté, était copain avec Alice. En 2023, c’est avec son ami l’historien Laurent Joly, spécialiste de l’antisémitisme sous Vichy, qu’elle signe Une jeunesse sous l’Occupation.
Alice, rescapée
C’est l’histoire d’un drame et d’un miracle, écrit-elle. Et de nous raconter son enfance dans le 18e arrondissement de Paris. Fille unique de parents juifs polonais qui ont fui les pogroms, elle grandit rue Damrémont au-dessus du salon de coiffure familial. Son père Icek, sympathisant communiste, s’occupe des hommes. Sa mère, Sura-Laya, qui rêvait d’être cantatrice, coiffe les femmes. La boutique tourne bien jusqu’à ce que le gouvernement de Vichy pourchasse les juifs. Dénoncé par un concurrent (on découvre les courriers envoyés au Commissariat général aux Questions Juives), son père, arrêté le 17 septembre 1941, périra à Auschwitz. Avec sa mère, elle échappe à la Rafle du Vel’d’Hiv de juillet 1942, alertées par des voisines. Elles se cacheront en zone libre. A Limoges, Alice, du haut de ses 18 ans, entre en résistance. A la Libération, de retour sur Paris, sa mère, très affaiblie, bataille pour récupérer ses biens, tandis que le délateur de son mari est acquitté. Dans son épilogue, Alice Mendelson écrit : Vivre pour tous ceux qui n'ont pas eu le droit de vivre, telle a été ma philosophie de vie, de ma longue vie, pleine et heureuse.
Alice, philosophe
Dans mon appartement, mon Ermitage, sans sortir ou presque, je m’amuse à vivre. Dans l’entretien Alice Mendelson, une façon de vieillir, diffusé sur You Tube, son ami Pascal Quéré l’interroge dans son appartement parisien. Alice a alors 91 ans. Elle nous fait visiter son appartement, nous révèle ses deux postes d’observation tels la grande fenêtre de sa salle de bain : C’est le grand Rex ! Elle nous livre non sans humour ses recettes pour parer les difficultés liées au grand âge : monter dans une voiture, se laver les doigts de pieds… Elle n’occulte pas les difficultés et les moments de flottement mais souriante, elle évoque son capital : son ivresse de vivre. Comme dans son poème A mes petits :
J'ai mal à l'épaule droite, au rein à droite, au genou droit, au talon droit...
Quelle chance d'avoir un côté gauche !
Le coeur est à gauche.
Quelle chance d'avoir un côté droit !
Mes yeux voient mal, mais encore...
Mon nez reçoit les arômes.
Ma main emboîte ton épaule.
Mon sourire accueille ta silhouette dans la porte...
Quelle chance d'avoir un corps tout entier !
Vivre, parler et écrire, peut-être même aimer aussi. Avec ça, je crois que je fais le plein. (…) C’est être aux aguets de ce qui va pouvoir être vécu autrement, écrit autrement pour que l’étonnement fondamental soit constamment renouvelé. Alors là, j’ai livré mon secret final, lâche-t-elle dans un éclat rire. Alice Mendelson a une sacrée philosophie de vie : Pour bien vieillir, il faut avoir le vice de la joie.