Pierre Dac ou l’énergie du rire

Publié le par Amelie Meffre

Brassaï, Pierre Dac devant son micro Paris, 1935 Collection particulière © Estate Brassaï - RMN-Grand Palais//

Brassaï, Pierre Dac devant son micro Paris, 1935 Collection particulière © Estate Brassaï - RMN-Grand Palais//

Le musée d’art et d’histoire du Judaïsme reprogramme l’exposition consacrée à André Isaac, alias Pierre Dac, fermée prématurément en 2020 pour cause de confinement. Elle balaye le XXe siècle, avec ses horreurs et ses bonheurs.
Un régal !

Quinze jours après son inauguration à l’automne 2020, l’exposition « Pierre Dac. Du côté d’ailleurs » a été brusquement interrompue par le confinement lié à la pandémie de Covid-19. La voilà heureusement reprogrammée jusqu’au 27 août sous le titre « Pierre Dac, le Parti d’en rire ». Le parcours étant chronologique, on commence comme il se doit par la présentation de la famille, photos à l’appui. Sa mère, Berthe Kahn, dont les parents s’installent à Châlons-sur-Marne après l’annexion de l’Alsace-Lorraine en 1871. Son père, Salomon Isaac, boucher de profession, venu de Nancy. Ils auront deux fils : Marcel (1897-1915) et André (1893-1975), envoyés au front de la grande boucherie. Le premier y laissera sa peau, le second en gardera de vilaines blessures. Place au cabaret dès les années 1920 où la salle dédiée s’orne de rideaux pourpre et de photos du chansonnier à La Vache enragée qui a pris son nom de scène. Vite repéré comme un maître de l’absurde, c’est le succès aux Deux Ânes, au Caveau de la République ou à La Lune rousse. On se délecte à entendre ses sketches de 1930 tels « Mon cœur est un feu de Bengale » ou « Toto t’as t’y ton vélo »… « Celui qui n’a pas vu moissonner les nouilles n’a rien vu ! » : le ridicule ne tuant pas, on éclate de rire, audiophone sur les oreilles, à l’écoute de la « Fabrication de la confiture de nouilles ».

Gravement loufoque
Alors que la TSF se déploie dans les foyers français – on admire au passage un superbe microphone à ruban – Pierre Dac aiguise sur les ondes avec son accent parigot à couper au couteau son humour qu’il qualifie de loufoque (un mot issu de l’argot des bouchers). À Radio Cité, il lance en 1936 « L’Académie des travailleurs du chapeau » et anime l’année suivante sur le Poste parisien « La Course au trésor » et « La Société des loufoques ». Le bruit des bottes s’amplifie, l’humoriste lance alors l’hebdomadaire « L’Os à moelle » dont le premier numéro est tiré à 400 000 exemplaires. Entouré d’une sacrée équipe, le rédacteur en chef orchestre les railleries contre Hitler, Mussolini et leurs larbins. L’heure est grave mais on se marre à parcourir les numéros exposés, épaté par tant de talents. En juin 1940, fini de rigoler, la Wehrmacht occupe Paris et l’hebdo est interdit. Juste avant, Dac se réfugie avec sa compagne Dinah Gervyl à Toulouse. Après plusieurs passages en Espagne et en prison, il arrive à gagner Alger puis Londres. Là, il reprend du micro en 1943 dans l’émission « Les Français parlent aux Français », diffusée sur la BBC. Avec « La Défense élastique » ou « La Ronde du chanvre », l’humoriste manie la résistance en chantant. Ses éditoriaux valent leur pensant d’or. Jusqu’à son sublime « Bagatelle sur un tombeau » où la détermination ne laisse pas une once de place à l’humour. Il répond à Philippe Henriot, secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande du gouvernement de Vichy qui a déversé sa bile sur Radio Paris contre « Isaac André, fier de sa race ».  Quel plaisir d’écouter la salve de Pierre Dac et sa chute : « Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, y’aura aussi une inscription (…) : Philippe Henriot, mort pour Hitler, fusillé par les Français ».
 

Pierre Dac et Francis Blanche dans le sketch « Le Sâr Rabindranath Duval » 1960 Archives Jacques Pessis

Pierre Dac et Francis Blanche dans le sketch « Le Sâr Rabindranath Duval » 1960 Archives Jacques Pessis

Sur les planches
Après avoir été résistant reporter et décoré pour ses combats contre l’ennemi, Pierre Dac remonte sur les planches notamment au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers pour y jouer la version française de « L’Instruction » de Peter Weiss. Créée par Gabriel Garran en mars 1966, il tient le rôle du président du tribunal dans la pièce tirée du procès de Francfort-sur-le-Main jugeant vingt-deux responsables et gardiens du camp d’extermination d’Auschwitz. On reste scotché devant l’extrait diffusé, plus de cinquante ans après. « Les années Blanche » qui suivent nous permettent de souffler en nous payant derechef de franches rigolades en regardant les photos des deux compères et en écoutant leurs sketches : « Le Parti d’en rire », « Faites chauffer la colle », « Malheur aux barbus » et bien sûr « Signé Furax ». La visite continue et en sortant, alors que nous avons été tout du long de l’exposition ballotés entre rire et gravité, on se dit que dans ce XXe siècle tourmenté vécut un sacré mec.

« Pierre Dac. Le Parti d’en rire », exposition jusqu’au 27 août 2023 au musée d’art et d’histoire du Judaïsme, 71, rue du Temple 75003 Paris.

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