Picasso, l'indésirable
L’exposition au Musée national de l’histoire de l’immigration « Picasso, l’étranger » révèle comment l’artiste espagnol fut surveillé en France durant plus de quarante ans. Elle tombe à point nommé à l’heure où pullulent les discours xénophobes.
Pablo Picasso va avoir 19 ans quand il vient à Paris pour l’Exposition universelle de 1900 qui présente une de ses œuvres. On mesure la précocité de son talent dès l’entrée de l’expo « Picasso, l’étranger » avec deux petits paysages superbes peints à l’adolescence, en même temps que ses déboires avec la police française. En 1901, il est fiché comme « anarchiste surveillé » comme en attestent son dossier d’étranger et le premier rapport d’un commissaire. Comme le souligne l’historienne Annie Cohen-Solal, commissaire de l’exposition et auteure de « Un étranger nommé Picasso » (Ed. Fayard), l’artiste débarque « dans une France xénophobe à peine sortie de l’affaire Dreyfus ». En décembre 1912, à l’Assemblée nationale, des députés attaquent les « ordures » cubistes. Le peintre en fait partie (on admire au passage son « Homme à la mandoline » de 1911), tout comme les expatriés qu’il côtoie tels le galeriste Daniel-Henry Kahnweiler qui œuvre à l’essor de ce mouvement. Ce dernier, parce qu’allemand, verra ses biens séquestrés par l’État français en 1914 et son stock d’œuvres, dont certaines signées Picasso, dispersé lors de ventes aux enchères.
Surveillance rapprochée
Alors que nombre de ses amis dont Georges Braque et André Derain sont dans la tourmente de la Première Guerre mondiale, Picasso diversifie ses approches. En 1917, Serge Diaghilev, fondateur des Ballets russes, l’engage pour les décors et les costumes du ballet « Parade » qui fera scandale. On découvre ainsi l’incroyable costume cubiste du Manager français imaginé par l’artiste. Ses tracas avec l’administration française continuent : à Royan (Charente-Maritime) où il s’est replié en 1939 pendant la drôle de guerre, le commissaire de police local le convoque. Peint deux ans plus tôt, son « Guernica », symbole de la lutte contre les fascismes qui circule dans les musées, le met en danger. Républicain espagnol, « artiste dégénéré » pour les nazis en passe d’occuper la France, Picasso demande la naturalisation française le 3 avril 1940. Bien que fortement appuyée, elle sera rejetée après le rapport d’un fonctionnaire des Renseignements généraux, qui nous est donné à entendre via une bande son. Elle fait froid dans le dos.
Pablo Picasso, Femme qui pleure, 18 octobre 1937. Paris, musée national Picasso – Paris. Photo/Adrien Didierjean. © Succession Picasso 2021
A la Libération, Picasso adhère au Parti communiste français comme nombre d’artistes et se lie d’amitié avec Maurice Thorez. On découvre les scènes filmées des deux familles en vacances dans le sud comme les tableaux de Vallauris ou de la baie de Cannes des années 1950. L’artiste mondialement reconnu, célébré dans les musées français, après avoir mangé de la vache enragée des années durant, s’installe dans le Midi avec le statut de « résident privilégié » renouvelable tous les 10 ans. Une fois encore, le Musée de l’histoire de l’immigration nous offre une exposition d’exception tant dans les œuvres que dans les archives rassemblées en nous révélant le paradoxe Picasso : un artiste devenu icône, traqué pendant plus de quarante ans par les autorités françaises.
« Picasso, l’étranger » jusqu’au 13 février au Musée national de l’histoire de l’immigration, 293, Av. Daumesnil, 75012 Paris.