Les antivax d’hier et d’aujourd’hui

Publié le par Amelie Meffre

Les antivax d’hier et d’aujourd’hui

La fronde contre les vaccins, concomitante à leurs mises au point, se déploie dès le XVIIIe siècle, s’organise le siècle suivant et se renforce à chaque obligation vaccinale. Rappel à toutes fins utiles.

Dès les prémices de la vaccination avec la « variolisation » (le fait de mettre une personne en contact avec les pustules d'un malade), des voix s’élèvent pour dénoncer une méthode barbare. D’autres y adhèrent car si l'on ignore encore tout du système immunitaire, on constate qu'un premier contact non mortel avec la maladie peut protéger. La technique, pratiquée depuis des siècles en Asie et en Orient, est rapportée en Occident au XVIIIe siècle par Lady Montagu, femme d’un ambassadeur britannique, alors que sévit une épidémie de variole. Vue par certains comme un « remède de bonne femme », issu de contrées ignorantes et sans morale, la « variolisation » a ses détracteurs qui répertorient scrupuleusement les cas de mortalité qui en découlent. Il faut dire qu’elle n'est pas sans risque et pas mal de patients succombent soit à la variole, soit à d'autres maladies ainsi transmises.
En 1796, un médecin anglais, Edward Jenner, imagine mieux protéger l’homme en lui inoculant « la variole des vaches » (la vaccine, d'où le terme de vaccin), moins dangereuse. Et ça marche : la mortalité chute à Londres. Le principe de la vaccination se répand en Europe et traverse la Manche. Là encore, les opposants se mobilisent, traitent Jenner d’imposteur, laissant libre cours à moultes fantasmes, appuyés par des caricatures où les humains prennent les traits de bovins. Plus sérieusement, les accidents vaccinaux sont toujours de mise même si les autorités les taisent.

Haro sur les obligations
Comme le rappellent Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud  dans « Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours », le militantisme anti-vaccinal va peu à peu se structurer et s’internationaliser. Il sera d’autant plus virulent en Angleterre que l’obligation vaccinale décidée en 1853, se renforce en 1867 et 1871. Plusieurs ligues voient le jour dont la Ligue internationale des anti-vaccinateurs fondée en 1880 qui tient congrès à Paris. A ce moment-là, un projet de loi français est déposé pour imposer la vaccination alors que la grande flambée variolique de l'hiver 1870-1871 vient de faire 200 000 morts. Si de vastes campagnes de vaccination au début du XIXe siècle ont été menées, le vaccin n’était pas obligatoire en France et surtout, les revaccinations non systématiques. Il faudra attendre 1902 pour qu’une loi soit adoptée et de nombreuses années pour qu’elle soit réellement appliquée.
Empoisonnement, dégénérescence de l’espèce, le vaccin serait à l’origine de nouvelles maladies et surtout inefficace aux yeux de ses adversaires. À l’annonce d’obligations vaccinales, la bataille se muscle : des émeutes éclatent au Québec en 1884 ou au Brésil en 1904, une manifestation rassemblant quelque 100 000 personnes se déroule à Leicester en 1885, où une effigie du docteur Jenner est décapitée.  Bientôt, c’est au tour de Pasteur de subir les foudres des antivax. Le biologiste qui a mis au point un vaccin à partir d'une souche atténuée du virus de la rage en 1885, reçoit quotidiennement des lettres de menaces émanant notamment des opposants à la vivisection. On lui reproche encore de fabriquer « une rage de laboratoire » et – l’antienne semble éternelle - d’être un spéculateur s’enrichissant sur le malheur des populations.  

 

"Au microbe fringant" by Plonk et Replonk

"Au microbe fringant" by Plonk et Replonk

Suspicions tous azimuts
Aujourd’hui, les opposants au vaccin pointent la cupidité des grands groupes pharmaceutiques qui ne sont assurément pas des philanthropes (la hausse des prix des vaccins Pfizer et Moderna en août dernier le rappelle). De là à penser qu’ils freinent l’avancée des traitements contre le Covid-19, il y a un grand pas qu’il ne faudrait pas franchir. Évidemment, les scandales sanitaires de ces dernières années n’arrangent pas les affaires. Et ce n’est pas un hasard si la lanceuse d’alerte Irène Frachon qui a révélé l’affaire du Mediator est citée en exemple par les antivax. Le 5 juillet 2021, elle monte au créneau pour appeler à la vaccination dans « Le Parisien ». «(…) j’ai regardé de près les études de validation et la veille de pharmacovigilance. Et je suis convaincue de la qualité, du sérieux et de l’efficacité des vaccins agréés en France », déclare-t-elle.
Hier comme aujourd’hui, dans les rangs de ceux qui hurlent à la supercherie vaccinale, trainent de curieux scientifiques usant de manipulations délétères. Ainsi, en 1998, comme le rapportent encore Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, une étude menée sur 12 enfants, publiée dans la prestigieuse revue « The Lancet », suggère l’existence d’un lien entre le vaccin ROR (rougeole, oreillons, rubéole) et l’autisme. Deux ans plus tard, fait rarissime, l’étude est retirée de la revue. L’année suivante, une enquête du « Sunday Time » révèle que le chef de file de la prétendue étude, le chirurgien britannique Andrew Wakefield, a trafiqué les données. Il a été rémunéré par un cabinet d’avocats mandaté par des familles d’enfants autistes et a fondé une société pour commercialiser des tests diagnostic. Il sera interdit d’exercer et s’exilera aux États-Unis, salué par Donald Trump. Résultat de la fraude : durant dix ans, la couverture vaccinale a chuté en Angleterre…

Quid de la démocratie sanitaire ?
Au-delà des antivax les plus farouches, nombre de citoyens se méfient des vaccins et les Français particulièrement. En 2009, 90% des 18-75 ans s’y disaient favorables contre 61% l’année suivante. La mauvaise gestion de la grippe H1N1 était passée par là. Le danger fut surestimé quand 4 millions de personnes furent vaccinés entre novembre 2009 et juin 2010 alors que 94 millions de vaccins avaient été commandés. En 2016, l’adhésion remontait aux alentours de 75 %. Cette année-là, Marisole Touraine, ministre de la Santé, lançait une « concertation citoyenne » sur la vaccination. Le comité d’orientation s’éloignera des réflexions réunies en préconisant une obligation renforcée. « Après la déclaration péremptoire de la ministre Touraine (« les vaccins, cela ne se discute pas », NDRL) et cette parodie de débat (…), où est la démocratie sanitaire ? », s’interrogent Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud. En 2017, le Premier ministre Edouard Philippe et la ministre de la Santé Agnès Buzyn annonçaient 11 vaccins infantiles obligatoires dès 2018.
La gestion d’une épidémie n’est jamais simple mais il est des exigences à ne pas négliger. Comme le rappelle le philosophe Emmanuel Hirsch dans une tribune publiée dans « Le Monde » du 26 janvier 2021: « Se dispenser du dialogue avec la société civile est un appauvrissement qui délégitime l’action publique, contestée dans la pertinence de ses arbitrages, et affaiblit la cohésion nationale au moment où elle est essentielle ».

 

Publié dans Covid 19

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