La Commune. Exquises missives
Il est des événements historiques étonnants tant ils déchaînent les passions. La Commune qui ne dura que 72 jours (du 18 mars au 28 mai 1871) en fait partie. A la veille des célébrations de ses 150 ans, les lettres de l'historienne Ludivine Bantigny aux communeuses et aux communeux nous éclairent brillamment quand on s’écharpe encore sur leurs cendres.
Comment rendre vivante et vivifiante la Commune, 150 ans après son avènement ? Ludivine Bantigny s’y emploie en écrivant aux communeuses et aux communeux, célèbres et inconnus. En leur racontant des faits qu’ils n’ont sans doute pas vus sur le moment et ceux qui ont suivi, l’historienne nous plonge dans l’événement, ses coulisses et ses répercutions. Sa plume est tendre, délicate, quasi amoureuse envers ces héros du populo. A la lingère de 47 ans, Pélagie Daubain, elle explique qu’elle ne les nommera pas « communards » comme leurs adversaires et - sans vouloir la blesser - lui rapporte leurs « mots infâmes ». Ceux de Théophile Gautier, d’Alexandre Dumas fils, de Zola, de Flaubert ou de la Comtesse de Ségur. Elle apprend à Marie Soulange, passementière de 24 ans, que 1050 femmes ont été déférées comme elle au conseil de guerre et que pour un certain Briot, auteur d’un long rapport, elles étaient des « créatures avilies et dégradées ». Elle lui raconte aussi le combat de ses « héritières », les salariées de Chantelle en 2016.
Au cœur des batailles
A l’instar de l’écrivaine Michèle Audin qui tient un génial blog sur la Commune, l’historienne nous transporte dans la bataille. Au fil de sa correspondance, on mesure l’humiliation de la défaite contre les Prussiens et la misère des Parisiens quand un marché aux rats se tenait à l’Hôtel de Ville. On suit les combats sur les barricades déployées par centaines mais aussi les batailles menées pour l’égalité et la fraternité dans les clubs et les assemblées, de l’Union des femmes aux chambres syndicales en passant par les coopératives. Si la Commune nous paraît si importante, c’est sans doute parce qu’elle porte tant d'avancées à venir : l’inspection du travail, la liberté de la presse, l’école laïque, l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes - encore un effort, on va finir par y arriver (NDRL) - la séparation de l’Église et de l’État… Les lettres s’enchaînent pour leur raconter encore la répression sanglante qui les a écrasés. A une inconnue massacrée sur le pavé, l’historienne confie : « Avant de vous rencontrer, votre mort représentait pour moi une sorte d’abstraction, une querelle historiographique. 7 000 ? 10 000 ? 20 000 ? ». Elle écrit à Eugène Jumeline dont le visage a été arraché comme à « l’inlassable » Charles Delescluze, tombé à plus de 60 ans au Château d’Eau, future Place de la République…
Remous d’hier et d’aujourd’hui
« Le rêve aurait été de vous voir tous les trois, Lissagaray, Arnould et toi. La Commune n’aurait pas été écrasée. On aurait pris rendez-vous dans un troquet près de l’Hôtel de Ville et on aurait sérieusement discuté. Avec Louise, aussi, bien sûr. Je crois l’entendre te confiant : « En révolution, l’époque qui copie est perdue. Il faut aller de l’avant ». Sans doute la lettre de Ludivine Bantigny au communard Félix Pyat - qui proclamait : « Plus de castes, plus de classes ! » - aurait fait des remous au Conseil de Paris, début février 2021. A propos des commémorations, les rancœurs étaient tenaces comme les anachronismes. Pour le républicain Antoine Beauquier, fidèle de Christine Boutin et élu du 16e arrondissement, les communeux étaient des « casseurs » de la pire espèce. Pas question de fêter « ce triste moment de guerre civile », pas plus que l’exécution le 26 mai 1871 de « dix prêtres et trente-neuf gendarmes ». Cent cinquante ans après la Semaine sanglante, la bataille entre Versaillais et Communeux se rejouerait-elle ? Pas sûr mais ça bouillonne quand-même.
Dans les manifs, les barricades ont changé de camp mais les slogans taquinent les clins d’œil : « Moins de Jean-Michel, plus de Louise Michel ! », « Élisez Reclus ! », « Ni Macron, ni personne. Vive la Commune ! ». On la porte en bandoulière pour défendre nos retraites, notre assurance chômage, nos services publics, on l’exhibe sur des gilets jaunes, on la passe sur les sonos… Pendant ce temps-là, certains défilent en tee-shirt orange ou en bleu-blanc-rouge pour défendre la sacro-sainte famille ou les frontières. Parfois - signe que les boussoles déconnent pas mal - en faisant de l’œil à l’oncle Picsou à l’image du troupeau d’identitaires défilant à Paris en casquettes siglées «Make America Great Again» le 20 février 2021. Est-ce que leurs foudres, si elles voyageaient dans le temps, se dirigeraient contre les membres de l’Association internationale des travailleurs qui sautaient les frontières allègrement ? Sans doute. En attendant, il est des amoureux des communeux et des communeuses qui les saluent avec talent tels Ludivine Bantigny : « Aujourd’hui, nous sommes face à ce fragile équilibre : nous souvenir sans fétichisme, vous évoquez sans vous imiter, nous rappeler sans vous plagier ».
« La Commune au présent. Une correspondance par-delà le temps » de Ludivine Bantigny, à paraître le 4 mars à La Découverte, 220 pages, 20 euros.