L’impossibilité de vivre
En novembre 2006, Sébastian Bosse, 18 ans, retourne dans son ancien collège d'Emsdetten (Allemagne) pour y perpétrer une fusillade et se suicider. Le dramaturge Lars Norén s'empare du drame comme du journal intime du tueur pour écrire « Le 20 novembre ». Magistralement interprétée par Cédric Welsch, la pièce nous secoue et se joue encore six vendredis à Paris.
Capuche noire, regard sombre, dès son entrée en scène, le personnage nous agresse : « Vous êtes pas innocents ! » Malaise dans la salle. Ses paroles tranchantes nous glacent : « Personne parmi vous, vous qui êtes ici et qui pensez que vous êtes juste venus pour regarder comme si vous étiez pas concernés. » Le comédien Cédric Welsch, seul en scène, porte avec force la rage de Sébastian Bosse, auteur d'une prise d'otages dans un collège allemand en 2006. Et nous voilà aussitôt sur le qui-vive comme transportés au cœur d'une classe sous tension, craignant de croiser son regard. Il nous invective et nous explique le pourquoi de son suicide programmé qui fera ce 20 novembre une vingtaine de blessés dont quatre élèves par balles. C'est forcément tendu d'autant qu'il nous juge responsables. Enfermés dans nos a priori, nos lâchetés et nos égoïsmes, qu'avons-nous fait contre l'absurdité d'une société qui broie ses enfants ? Quand nous sommes-nous soulevés pour défendre ceux qui ne suivent pas la voie toute tracée de l'EFTRM : École, Formation, Travail, Retraite, Mort ? La tension est là, palpable y compris quand Sébastian s'éloigne du public pour aller farfouiller parmi ses armes. On se dit que ça va nous péter à la figure...
Forcément coupables
Après le drame, le procureur conclura à une « frustration générale de la vie », tandis que le journal intime de Sébastian, ses notes et ses vidéos postées sur Internet sont retrouvés. Le dramaturge suédois Lars Norèn s'en est emparé pour questionner causes et responsabilités. La force de sa pièce est de nous prendre à partie pour tenter d'expliquer l'irréparable. Point de famille déchirée en arrière-fond mais une tribu heureuse et un fils qui leur demande pardon. Pas plus de remontée nazie pour expliquer la violence du geste mais un désespoir de vivre, tenace, dans un monde formaté et sans échappatoire. La mise en scène épouse les états d'âme comme les colères du meurtrier que nous livre sans fausse note le comédien. « Une arme dont on se sert pas, c'est pas une arme. » Quand Sébastian, boule de haine et de souffrance, quitte la salle pour aller canarder, on souffle presque de s'en être tirés et on réfléchit à nos égoïsmes coupables. Un grand moment de théâtre.
Le « 20 novembre » de Lars Norèn, mis en scène par Laurent Fresnais. Le vendredi à 19 heures jusqu'au 29 novembre à La Flèche théâtre.