Les traités de Rome de 1957 qui créent la CEE et l'Euratom
Chronique « Un saut dans la loi », diffusée le
22 mars 2019 dans la Fabrique de l'histoire sur France Culture
Comme chaque mois, vous nous rappelez un texte ancien en fonction de l'actualité et avec les élections, vous consacrez votre « Saut dans la loi » à la construction européenne. En pleines négociations sur le Brexit, vous revenez sur les traités de Rome du 25 mars 1957 qui créent la Communauté économique européenne et l'Euratom.
La dernière fois, je vous ai parlé du traité créant la CECA de 1951, signé à Paris, et bien, direction Rome six ans plus tard. Enfin, quelques escales s'imposent avant. Restons d'abord sur la capitale française, parce que c'est là où les hémicycles freinent un peu l'aventure européenne même si la CECA démarre fort. Le charbon et l'acier en ce temps-là, comme l'aurait dit Fernand Raynaud : « ça eut payé »...
Échec de la CED
René Pleven, président du Conseil, propose que dans la foulée du traité de la CECA, soit créée une armée européenne intégrant les futures unités allemandes. On est en 1950 et l'Allemagne doit retrouver une force de frappe, interdite après la défaite. Pleven et ses confrères ont l'idée de la placer sous une autorité européenne unique, militaire et politique. Accepté par la plupart des États occidentaux, le projet de Communauté européenne de défense (CED) est pourtant rejeté en août 1954 par l’Assemblée nationale française. Ça stoppe un peu les ardeurs.
Les trois pays du Benelux ne se démontent pas et invitent les ministres des Affaires étrangères des six États membres de la CECA en juin 1955 à Messine afin de relancer l'aventure. Un groupe d’experts est chargé de plancher sur une intégration économique en Europe sur la base d'institutions communes. Sans entrer dans les détails, pour avoir une idée de l'ambiance qui règne alors, je vous cite Raymond Aron dans le « Figaro » : « La conférence de Messine a été précédée de déplorables querelles autour non des idées, mais des hommes. Or, quels que soient les mérites de l'un ou de l'autre, la construction européenne ne doit pas être liée à un nom ou à une équipe. Elle ne peut aboutir qu’à la condition de rallier, dans chaque pays, une majorité aussi large que possible ». Comme quoi les problèmes d'égo, c'est pas nouveau.
Négociations tous azimuts
En juillet 1955, le Comité intergouvernemental créé donc à Messine, est présidé par Paul-Henri Spaak, ministre belge des Affaires étrangères. Il dresse en avril 1956 un rapport qui préconise donc la création d’un Marché commun et d'une Communauté de l’énergie atomique. Les travaux vont durer plusieurs mois au château de Val Duchesse en banlieue bruxelloise et se répartissent en deux comités : l’un pour le Marché commun, l’autre pour l’Euratom. Les négociations ne sont pas de tout repos, on discute âprement de l’éventuelle association à la CEE des territoires d’outre-mer, de l’harmonisation des prestations sociales et du monopole de l’Euratom sur les approvisionnements. En octobre 1956, les ministres des Affaires étrangères des Six se réunissent à Paris sans trouver un accord. La relance est sur le point d'échouer.
Conflits en cascade
Rappelons qu'en 1956, ça chauffe un peu partout : du côté de l’Égypte avec la nationalisation du canal de Suez par Nasser, en Hongrie où les Soviétiques font taire les révolutionnaires et bien évidemment en Algérie où la guerre d'indépendance se poursuit. Bref, le climat est tendu et ceci explique en partie l'urgence d'un terrain d'entente, notamment franco-allemand. Guy Mollet et Konrad Adenauer trouvent un compromis et les travaux reprennent et progressent rapidement au point d'aboutir à la signature des traités le 25 mars 1957 à Rome.
Le traité instituant la Communauté économique européenne (CEE) prévoit donc la réalisation d’un marché commun sur la base d’une union douanière. Il prévoit une politique commune des transports et inclut l’agriculture, même si les modalités de la politique agricole commune (PAC) seront définies plus tard.
Entre-temps, on discute aussi de la création d'une Banque européenne d'investissement et d'un Fonds social européen. Quant au traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique ou Euratom, il doit créer un marché commun nucléaire. La ratification par les parlements des six États membres va se dérouler sans encombre et les traités entrent en vigueur le 1er janvier 1958. La voie de l'intégration est donc ouverte.
Aujourd'hui, les négociations sur le Brexit se corsent et bien à la fin des années 1950, c'est l'inverse. Le Royaume-Uni qui avait refusé de participer à la CEE, commence à le regretter. Il faut dire que ses relations avec les États-Unis se tendent un peu après la crise de Suez de 1956 et son empire colonial se désintègre. Les Britanniques ne vont pas tarder à poser leur candidature. Suite au prochain épisode.
On peut lire d'Olivier Costa et Nathalie Brack, « Le fonctionnement de l'Union européenne », paru aux éditions de l'Université libre de Bruxelles en 2014 et consulter le très riche site du Centre virtuel de la connaissance sur l’Europe.