« Les hérétiques » : une joute salvatrice
Théâtre. Du foulard au saucisson-pinard, les prises de position se succèdent dans « Les hérétiques », la pièce de Mariette Navarro, mise en scène par François Rancillac, actuellement en tournée.
Un questionnement tous azimuts des tensions autour de la laïcité qui touchent en premier chef les femmes. Un spectacle lumineux qui convoque sorcières et madones pour mieux éclairer l’obscurantisme qui se niche en chacun de nous.
« La lumière baisse (…). Pourtant je déambule dans une époque pleine de néons », déclare une femme dans les gradins éclairés, semblant ne plus supporter l’obscurité qui règne sur le plateau embrumé. « Quelqu’un a parlé de lumière ? », questionnera une madone s’élevant en fond de scène sous les projecteurs. « On ne va pas laisser le pays glisser comme ça vers on ne sait où ! », affirme encore une punkette en corset aux seins saillants au-dessus d’un brasero. « Il faut trancher dans le vif ! », martèle une autre au look similaire. Dans « Les hérétiques », dernière pièce de Mariette Navarro, mise en scène par François Rancillac, les joutes se succèdent à propos de la laïcité, convoquée à tous bouts de champs et de tous côtés.
Riche sabbat
« On manque de m’éborgner avec un crucifix. On me parle d’Allah. On me parle de Jéhovah. On me parle de blasphème. On voudrait me remettre sur le chemin de Dieu en m’attrapant par les cheveux parce que je veux voir quand même ». Perdue dans un monde qui s’obscurcit chaque jour davantage, une femme ne veut plus choisir entre le noir et le blanc, elle en appelle au gris qui semble irrémédiablement banni des débats.
Cette citoyenne lambda est venue le soir à la rencontre des hérétiques, sortes de Pussy Riots/Femen qui bataillent et morflent pour la liberté. Elle tombera sur des sorcières, brûlées hier, lapidées aujourd’hui, des martyrs en voile blanc qui prêchent la pureté que des encagoulées obligent à se déshabiller. Le sabbat est dense au milieu d’une classe d’école abandonnée, les invectives fusent dans les variations des codes vestimentaires et des lumières. Si les salves sont tranchantes, l’humour se pointe régulièrement pour calmer quelque peu l’atmosphère d’un interrogatoire. « Crois-tu que la Terre tourne autour du Soleil ? Est-ce que tu crois aux sorcières ? Est-ce que tu penses qu’en avril, il ne faut pas se découvrir d’un fil ? »…
Malaise démocratique
Quand « dans la rue, chacun brandit sa foi et son appartenance » et que « c’est à qui priera le plus fort », la femme paraît inlassablement suspecte. Trop ou pas assez dénudée, trop ou pas assez voilée, trop ou pas assez échevelée, la voilà sans cesse soumise au procès de nos « inquisiteurs intérieurs ». Pointant le malaise démocratique, François Rancillac constate que « le drapeau de la laïcité est brandi à tout bout de champ d’un côté à l’autre de l’échiquier politique pour justifier tout et son contraire ». À la tête du théâtre de l’Aquarium, il a passé commande à Mariette Navarro pour prendre la tangente théâtrale et éclairer au mieux l’obscurité. Pari réussi, la pièce pousse tous les personnages dans leurs retranchements. Même les sorcières punk peuvent se métamorphoser en revanchardes impitoyables. Le public, si tant est qu’il en ait sa claque de devoir trancher dans le vif d’un sujet éternel et toujours brûlant, savoure un spectacle interprété par des comédiennes hors pairs, bichonnées par une équipe au top, de la costumière à l’éclairagiste, et portées par une mise en scène flamboyante.
Cette dernière création maison nous rend d’autant plus enthousiaste que François Rancillac a quitté l’Aquarium en décembre en nous tirant une bien belle révérence. Une pièce précieuse actuellement en tournée qui prouve une fois encore que le théâtre est le lieu de l’agora par excellence.
« Les hérétiques » de Mariette Navarro (Ed. Quartett, 13 euros), mise en scène de François Rancillac. Du 26 au 28 février à la Comédie de Béthune, le 26 mars au Théâtre Jean Lurçat d’Aubusson et le 16 avril à La Ferme de Bel Ebat à Guyancourt.