Mon père, cet anti-héros
THÉÂTRE. Dans « Au nom du père », Maryline Klein raconte l'alcoolisme paternel, entre rire et gravité. Sur scène, deux comédiennes vont endosser tous les rôles à commencer par celui de la fille pour mieux questionner une maladie taboue. A voir sur Paris jusqu'au 28 janvier.
« La dernière fois que j’ai vu mon père. J’ai 20 ans. Je suis à l’hôpital Sainte-Anne, l’hôpital de ma ville natale. Je vois mon père jaune et froid. Il a 40 ans. Il est mort. » Le décor est planté avec un frigo en toile de fond, sorte de coffre-fort d'où sortent les boutanches et où la fille se planque quand ça fait trop mal. Incarnée par deux comédiennes au top - Chloé Bonifay et Sarah Horoks -, la fille raconte son enfance quelque part en province, dans une cuisine où trônent fil à linge et planche à repasser. Là encore, les litrons vont descendre à foison, signifiant l'addiction paternelle.
Témoignage distancé
Jouée en octobre dernier aux Métallos dans le cadre du focus « Récits de vie », la pièce, écrite et mise en scène par Maryline Klein, est en partie autobiographique. Née à Verdun de parents ouvriers, la dramaturge s’oriente très tôt vers le théâtre - une belle planque pour prendre de la distance avec la dépendance du père – où elle crée notamment « Addict » et « Dieu, la femme et l’abus ». « Lorsqu’aux Métallos, on m’a fait une proposition de résidence, j’ai tout d’abord freiné des quatre fers car dans mon chemin d’écriture je ne suis plus à cet endroit du « je unique », je suis dans les « je pluriels » », raconte Maryline Klein, avant de relever le défi.
Grâce au duo d'actrices, tel un personnage et son double, le récit est suffisamment décalé pour prendre toute sa force. On verra les ados en short poireauter dans le troquet où le père boit insatiablement, jongler avec les bouteilles planquées partout, danser dans une sorte de transe contre la mouise ambiante, regarder sur écran le « Superman » de Richard Lester dans lequel le super héros se pinte au whisky et met le boxon... Les scènes dramatiques succèdent aux scènes comiques et vice-versa comme dans un tourbillon de questions sur l'addiction.
Terribles sentences
« Monsieur, si vous continuez à boire, vous allez mourir » : la sentence est sans appel et le père continue à picoler à l'envi. Une contradiction insupportable pour une jeunette qui frappera son paternel et s'en voudra longtemps ; condamnable par beaucoup qui convoquent la figure de l'ivrogne et du moins que rien pour mieux éloigner celle du malade.
Au final, « Au nom du père » est un spectacle qui nous fait cogiter sur l'enfer de l'alcoolisme, familial autant que social. Point de misérabilisme dans ce récit de vie mais une misère finement questionnée qui nous percute.
« Au nom du père », écrit et mis en scène par Maryline Klein, du 19 au 28 janvier à La Flèche, 77 rue de Charonne, 75011 Paris. https://theatrelafleche.fr