1791 : Avignon intégrait la France
Chronique "Un saut dans la loi" diffusée dans la Fabrique de l'histoire, sur France Culture, le 21 décembre 2018.
A la veille de l'acte VI des gilets jaunes et alors que France Bleu Vaucluse nous informe que les barrages ont été évacués, il n'est pas fortuit de rappeler le décret du 14 septembre 1791 qui intégra Avignon et le Comtat Venaissin à la France.
Demain se déroulera l'acte VI des gilets jaunes et alors que le 8 décembre, ceux de Pertuis escaladaient la propriété de Pierre Gattaz dans le Luberon, vous revenez sur le décret du 14 septembre 1791 qui intégra Avignon et le Comtat Venaissin à la France.
L'occasion était trop belle, à la veille de Noël, d'aller visiter les terres paternelles mais je vous rassure l'importance de l'événement dépasse ma petite personne.
“La cause d'Avignon est celle de l'univers !” Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Robespierre. En 1790, on ne lésinait pas sur l'emphase, il faut dire que ça bouillonnait de toutes parts. Je ne m'étendrais pas sur la prise de la Bastille ou le serment du jeu de Paume à Versailles, non, mais sur la bataille entre Carpentras et Avignon, entre le pape et les patriotes, pour faire vite. L'Assemblée, en pleine ébullition sur la Constitution, s'est mobilisée à plusieurs reprises sur la question. C'est qu'elle est d'importance.
Revenons un peu en arrière pour rappeler que le Comtat Venaissin fut cédé à l'Église en 1228 et la ville d'Avignon vendue au pape Clément VI en 1348 par la reine Jeanne. On chipote sur l'âge de cette dernière pour contester la vente mais bon, en attendant, Avignon est papale. Avec la Révolution française, forcément, les choses se compliquent. Des doléances émanent des partisans d'un rattachement à la France en août 1789 et des troubles éclatent dès le 3 septembre. Six mois plus tard, une municipalité est élue et décide d'adopter la Constitution française. Le pape se fâche et en juin 1790 : les journées sont insurrectionnelles. Des sans culottes survoltés tuent femmes et jeunes modérés quand des papistes ne sont pas en reste. A la Glacière du Palais des papes d'Avignon, on compte 60 morts, dans la nuit du 16 au 17 octobre 1791. La communauté se déchire comme à Arles et à Nîmes où l'on dénombre quand-même 300 morts.
Bref, on assiste à une guerre civile.
Le mot est-il trop fort ? A en croire les historiens, non.
Et c'est sûrement pourquoi la question d'Avignon a occupé pas moins de 25 séances à l'Assemblée constituante. Le 10 juillet 1791, on décide d'une consultation des habitants dans chaque commune. Les résultats sont connus un mois plus tard et on les discute âprement. Selon le rapport de Menou, partisan de la réunion, sur les 98 communautés qui forment les deux États réunis, Avignon et le Comtat donc, 71 ont émis leur vœu. 52 ont demandé leur réunion à la France, 19 ont voté pour le pape. Et parmi les 27 autres qui n'ont rien dit, et bien 17 étaient trop occupés aux récoltes, selon le rapporteur, pour affirmer une fois encore leur volonté de rattachement.
Rappelons au passage que depuis la loi du 22 décembre 1789, la France se répartit en 83 départements et que ça chauffe un peu partout. Mais qu'est-ce qui explique un tel déferlement de violences sur les terres provençales ? Pour Jean-Clément Martin, on a affaire à des luttes de clan contre clan, quartier contre quartier, un peu comme à Florence ou à Sienne.
Comme le résume l'historien : “Tout le monde se connaît et tout le monde se tue”.
Bien sûr, dans l'Hémicycle, la lecture est plus politique. Les débats se durcissent à mesure que la bataille fait rage. Le 2 mai 1791, Robespierre déclare à l'Assemblée : “il ne restera jamais au peuple d'autres moyens de recouvrer la liberté”. Malouet lui rétorque : “l'insurrection partielle d'une section du peuple (…) est un attentat manifeste contre la souveraineté, contre la paix publique”. Et on s'écharpe au nom de grands principes. Comme le souligne l'historien Olivier Rouchon, "la question avignonnaise entre dans un débat universel sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”. L'enjeu est de taille : alors que le 3 septembre 1791, l'Assemblée adopte la constitution, l'affaire du Comtat et d'Avignon en est la suite logique, quand le pape s'y oppose et que le roi est prisonnier après sa tentative de fuite. Après avoir entendu le maire d'Avignon, une députation des États-Unis d'Avignon et du Comtat Venaissin, les députés approuvent le décret du 14 septembre 1791. Le voilà. L'Assemblée déclare que les deux États réunis d'Avignon et du Comtat Venaissin sont partie intégrante de l'empire français. Ils représentent ainsi les premières conquêtes de la France révolutionnaire.
Il faudra toutefois attendre le 25 juin 1793 pour que le département du Vaucluse, alors 87e de France, soit formé. Aujourd'hui, plus de deux siècles après leur bataille révolutionnaire, pas mal de Vauclusiens, à la veille d'un énième acte des gilets jaunes, ne semblent toujours pas calmés. C'est peut-être qu'ils sont sacrément testards comme on dit en bas.
On peut lire notamment de Jean-Clément Martin, “Nouvelle histoire de la Révolution française”, parue chez Perrin en 2012 et l'article d'Olivier Rouchon dans “Les rattachements pacifiques de territoires à la France (XIVe-XIXe siècle)”, sous la direction de Jacques Berlioz et d'Olivier Poncet, paru en 2013 aux Publications de l’École nationale des chartes.