L'ancêtre des RG en 1855

Publié le par Amelie Meffre

Allégorie de la justice de Claude Franchomme. Crédit : Mikaël Libert

Allégorie de la justice de Claude Franchomme. Crédit : Mikaël Libert

Chronique "Un saut dans la loi", diffusée le 24 avril 2015 dans la Fabrique de l'histoire sur France Culture

L’examen du projet de loi sur le renseignement, qui étend les possibilités de surveillance, jugé liberticide par beaucoup, s’est achevé le 16 avril 2015 à l’Assemblée nationale. Il devrait être adopté par un vote solennel le 5 mai. C'est l'occasion de rappeler le décret du 22 février 1855 qui créa une police spéciale pour surveiller les chemins de fer.

A chaque nouveau moyen de communication, son lot de surveillance. Aujourd'hui, Internet, hier, le train. Je vous avez déjà parlé, il y a quelque temps, de la loi du 11 juillet 1845 sur la police des chemins de fer. Cette dernière édictait des règles précises pour assurer la sécurité des trains, après notamment la première grande catastrophe ferroviaire de 1842 à Meudon. Là, nous ne sommes plus dans le même registre avec ce décret du 22 février 1855. Il s'agit de mettre en place une police spéciale pour contrôler les voyageurs et plus généralement l'opinion publique. Il faut dire que nous sommes dans un contexte particulier. Après le coup d’État du 2 décembre 1851, Napoléon III instaure un régime autoritaire qui restreint les libertés publiques pour mater l'opposition. Il met en place une «loi des suspects » qui multiplie les arrestations et les déportations et réorganise la police comme la gendarmerie. Bref, face à l'essor des chemins de fer, il convient de créer un meilleure surveillance des facilités nouvelles de communication. Le progrès technique doit s'accompagner d'un progrès policier.

Vol à la valtreuse
Comme le note l'historienne Stéphanie Sauget qui a travaillé sur les gares parisiennes au XIXe siècle : le train crée des possibilités inédites de fuite et des nouveaux délits, comme le « vol à la valtreuse », la valise en argot. Il faut aussi pourvoir à la sûreté des lignes que l’Empereur emprunte. Comme le souligne l'historien de la police Jean-Marc Berlière, c’est à la Direction de la Sûreté Publique créée en 1853, que fut confié, l'année suivante, le soin d’organiser une police spéciale des chemins de fer. Si une loi de février 1850 avait déjà mis en place un corps de commissaires des chemins de fer, ils dépendaient du ministère des Travaux publics et étaient plutôt des surveillants d’exploitation que des policiers. Le décret de 1855 va créer un corps de 30 commissaires spéciaux et 70 inspecteurs, rattachés cette fois au ministère de l'Intérieur. Établis dans 24 résidences administratives des chemins de fer, ils sont là pour suivre les malfaiteurs mais aussi pour surveiller les opposants dans leurs déplacements. L'article 3 du décret étend leurs pouvoirs à toute la ligne à laquelle ils sont rattachés. L'article 5 prévoit qu'ils rendent des comptes aux préfets et adressent une copie de leurs rapports au ministre de l’Intérieur. Napoléon III imagine ainsi une police pour savoir « quel accord règne entre ses actes et les vœux de la Nation ».

« Précieux agents d'information »
Assez rapidement, les attributions de ces « commissaires spéciaux » vont s'élargir et largement dépasser leur mission officielle de police des chemins de fer. En mars 1861, un décret leur confie la surveillance du mouvement des étrangers et la police des ports et des frontières. L'année suivante, une circulaire les met à la disposition des préfets. Leurs effectifs augmentent régulièrement : d'une centaine à leur création, ils sont plus de 200 en 1881. Pas assez aux yeux du directeur de la Sûreté générale, Emile-Honoré Cazelles qui s'en plaint dans un rapport envoyé le 30 juin 1880, au ministre de l’Intérieur. Ces « précieux agents d'information » selon ses termes pourraient rendre davantage de services.
Il écrit ainsi : « Des exemples récents ont montré à propos des congrégations, des cercles catholiques, des grèves, comme d’autres exemples montreraient au besoin à propos des chambres syndicales et des cercles politiques, combien la Direction est mal pourvue de renseignements sur l’état de ces corps déjà existants depuis longtemps, et qu’il importe cependant d’avoir bien reconnus parce qu’ils sont de nature à exercer une influence considérable sur la stabilité de l’ordre public ». Il est d'ores et déjà clair que ces commissaires spéciaux sont à même de constituer une véritable police politique. Et c'est ce qui va advenir.

Attentats anarchistes
Si certains après le Second Empire critiquent l'existence d'une police politique mise en place par un régime autoritaire, elle ne sera pas supprimée. Loin s'en faut. Avec la vagues des attentats anarchistes, son rôle politique va être renforcé et ses effectifs, doublés. Une semaine après l’attentat de Vaillant en décembre 1893, les députés votèrent une augmentation du budget de la Sûreté Générale de 820 000 francs et l'effectif de cette police spéciale atteignit bientôt près de 480 membres. Filatures, interceptions du courrier, fichages, les commissaires spéciaux et les inspecteurs deviennent de véritables agents de renseignement. Ils n'officient plus seulement dans les gares et les lignes de chemins de fer mais à partir de 1893, dans leur département de résidence. En charge peu à peu de certaines villes socialement et politiquement sensibles comme Fourmies ou Carmaux, ils se voient confier la police des courses, des casinos puis la surveillance de tous les suspects. A compter du 1er mai 1899, ils sont même utilisés pour le contre-espionnage. Bref, on s'éloigne des wagons, au point qu'en 1911, on désigne le service comme « police spéciale » tout court, avant qu'il ne prenne le nom de police des renseignements généraux…

On peut lire de Stéphanie Sauget, « À la recherche des pas perdus. Une histoire des gares parisiennes au XIXe siècle », paru en 2009 chez Tallandier. Et les ouvrages de Jean-Marc Berlière et notamment l'article coécrit avec Marie Vogel, « Aux origines de la police politique républicaine », disponible sur le site Criminocorpus.

 

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