France-Algérie : la méchante cicatrice

Publié le par Amelie Meffre

Oeuvre d'Ernest Pignon Ernest/

Oeuvre d'Ernest Pignon Ernest/

Il est des histoires qui passent mal. Coincées dans les gorges, elles ressurgissent régulièrement au gré de carnages ou de campagnes électorales. La guerre d’Algérie est de celles-là. Une bataille mémorielle aux enjeux politiques où règne la confusion.

Voilà quelques mois que la guerre d’Algérie (1954-1962) refait surface dans les discours politiques. En février 2017, le candidat d’En marche aux présidentielles, en déplacement en Algérie, qualifiait la colonisation de « crime contre l’humanité ». Cinq ans plus tard, Emmanuel Macron change de ton et telle une girouette accuse la nation algérienne de s’être construite sur « une rente mémorielle ». Histoire d’enfoncer un peu plus le clou diplomatique, il décide de réduire le nombre de visas accordés aux trois pays du Maghreb, en raison de leur « refus » de rapatrier leurs ressortissants en situation irrégulière. Un peu confus tout ça quand on pense qu’en juillet 2020, le président chargeait Benjamin Stora de « dresser un état des lieux juste et précis » sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Six mois plus tard, l’historien remettait son rapport en formulant une trentaine de préconisations pour apaiser les tensions. Parmi celles-ci : la reconnaissance de l'assassinat de l'avocat et militant politique Ali Boumendjel pendant la bataille d'Alger en 1957. Ce que fit Emmanuel Macron le 2 mars dernier.

Un 17 octobre 2021
Autre conseil de Benjamin Stora : la commémoration du 17 octobre 1961 où plus de 200 Algériens furent tués (*). Si le président a bel et bien salué la mémoire des victimes le 16 octobre, il s’est contenté de charger le préfet, déclarant : « Les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République ». Quant au communiqué de l’Élysée, il jongle avec les faits, mentionnant « une manifestation (…) pour protester contre le décret du 5 octobre, interdisant aux seuls Algériens de sortir de chez eux après 20h30 ». Comme l’écrit avec humeur Jérémy Rubenstein dans un article qui corrige le discours prononcé par le président : « Il ne s’agit pas du tout d’une manifestation, dans le sens d’un parcours préétabli (…) mais d’une protestation ouverte contre le couvre-feu imposé le 5 octobre ». Quant au décret du 5 octobre : « Là, on est dans la pure invention », s’agissant en fait d’un communiqué de la préfecture de police, faisant suite, selon Jean-Luc Einaudi (l’historien qui fit un travail de titan sur la question, NRDL), à une réunion interministérielle en présence du premier ministre Michel Debré, du ministre de l’Intérieur Roger Frey et du préfet Maurice Papon. Il s’agirait quand-même d’être précis avec l’histoire si on cherche à la regarder en face.

© AFP / Hans Lucas / Jacopo Landi

© AFP / Hans Lucas / Jacopo Landi

Dans les préconisations du rapport Stora on trouve aussi : faire entrer au Panthéon l’avocate Gisèle Halimi, figure d’opposition à la guerre d'Algérie. Et bien là, il faudra repasser : avec l’annonce de la panthéonisation de Joséphine Baker prévue le 30 novembre, notre chère féministe n’aura le droit qu’à une cérémonie aux Invalides début 2022. Il s’agissait de ne pas froisser les harkis qui ont fait pression pour qu’il en soit ainsi. En attendant, on peut écouter Gisèle pendant des heures sur France Culture dans une série d’« À voix nue », signée Virginie Bloch-Lainé et ça c’est chouette !

Nostalgérie
Mais pourquoi donc ce tragique épisode de la guerre d’Algérie, que l’on mettra des années à qualifier ainsi, fait encore et toujours polémique en France ? Plusieurs pistes sont à creuser : le mauvais rôle de la France, la torture, le traumatisme des appelés (voir Encadré) et des rapatriés… Et puis, comme l’a très bien étudié l’historien Alain Ruscio dans « Nostalgérie », paru à La Découverte en 2015, les nostalgiques de l’Algérie française n’ont eu de cesse de vouloir accaparer l’histoire. Souvent avec succès. Et ce, dès février 1961 quand se constitue l’Organisation armée secrète (OAS). Et leurs descendants comptent toujours sévir : le 12 octobre, le tribunal de Paris condamnait Logan Nisin, fondateur du groupuscule d'ultradroite OAS, à neuf ans d'emprisonnement ferme pour avoir projeté des attentats. D’autres instructions de la même veine sont en cours. Au milieu de ces batailles mémorielles bien vivaces, il faudra toujours garder à l’esprit les manœuvres de l’extrême-droite ; s’interroger sur le fait que le livre de souvenirs de Jean-Marie Le Pen a fait un carton début 2018 quand celui coordonné par Pascal Blanchard, « Sexe, race & colonies. » (La Découverte), faisait grincer des dents.

 

Crédit : Robert Doisneau, 1953.

Crédit : Robert Doisneau, 1953.

Ripostes du savoir et de l’art
Sans parler des zèbres qui crient au grand remplacement, en voulant monter les Marcel contre les Mohammed, sur fond d’attentats. Heureusement, les chercheurs veillent aux grains pour rétablir la vérité. A ce titre, les historiennes Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault font un travail remarquable pour documenter l’histoire de la guerre d’Algérie.
Quant aux poètes, ils continuent inlassablement le combat. Au lendemain du carnage du Bataclan, le rappeur Kery James prenait ainsi le micro pour balancer un puissant « Vivre ou mourir ensemble » : « Un seul tonnerre de violence assourdit nos beaux discours/Et nous v'là prêt à jeter la France dans la guerre civile d’Éric Zemmour… » Hier, c’était Prévert qui affutait son crayon dans son sublime « Étranges étrangers » : « Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel/hommes des pays loin/cobayes des colonies/Doux petits musiciens… » Et ça fait du bien.

(*) Lire notamment l’article de l’historienne Sylvie Thénault, « Le fantasme du secret d’État autour du 17 octobre 1961 » et « Une mémoire en partage » avec les photographies de Monique Hervo et les textes de Mehdi Lallaoui, aux éditions Au nom de la mémoire.

 

Paroles croisées
France-Algérie : la méchante cicatrice

« Ils sont revenus avec des goûts et des dégoûts nouveaux : la musique, les paysages, les couleurs… Ils ont gardé aussi au fond d’eux-mêmes des maladies resurgissant à intervalles réguliers, tel le paludisme, ou des cauchemars traversant la nuit, indices pour leurs proches de zones d’ombre travaillant en sourdine. »
De 1954 à 1962, plus d’un million et demi d’appelés font leur service militaire en Algérie. Plongés deux ans au cœur d’une guerre dont on taisait le nom, dans quel état sont-ils rentrés ? Tous ont-ils gardé le silence ? Tous ont-ils été traumatisés et par quoi ? Raphaëlle Branche a mené une longue enquête auprès de 39 familles, soit quelque 300 personnes pour éclairer la question à la lumière des angles familiaux, sociaux et générationnels. Correspondances, journaux intimes, archives conservées à l’Association pour l’autobiographie (Apa), questionnaires, entretiens directs… A partir de tous ces matériaux, l’historienne rend compte de récits singuliers propres à chaque clan pourrait-on dire. En croisant les témoignages de plusieurs générations, elle nous renseigne aussi sur l’évolution de la place de la guerre d’Algérie dans la société française. Un travail qui fera date.

« Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? Enquête sur un silence familial » de Raphaëlle Branche, 512 pages, La Découverte, 2020.  

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